Amdp_r_n_b1

L’illusion démocratique de l’élection présidentielle

Thevenon2016 C’était en 1962… Le 28 octobre, les Françaises et les Français adoptaient par référendum le principe de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Ainsi, ce scrutin devenait l’ « élection-reine » du système politique français et la logique institutionnelle de la Cinquième République s’en trouvait bouleversée. Désormais, le président de la République disposait d’une évidente légitimité populaire. Les Françaises et les Français pouvaient désormais choisir la personnalité de leur choix à l’issue d’un débat dont on pouvait espérer qu’il fût démocratique.

Il importe tout d’abord de comprendre les raisons d’une telle mutation institutionnelle et les conséquences politico-juridiques. Mais aussi de montrer, qu’au-delà du déséquilibre institutionnel grave que la réforme a engendré, les conditions de l’élection présidentielle ne permettent pas, ou ne permettent plus, un choix réel et ouvert.

La campagne avait été âpre en 1962… La Cinquième République voulue en 1958 par le général de Gaulle n’avait pas franchement envisagé le principe d’une élection présidentielle au suffrage universel direct pour trois séries de raison : premièrement, parce que la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 encadrant juridiquement le travail institutionnel dirigé par le gouvernement induisait la nécessité pour le nouveau régime d’être parlementaire. Or, l’élection directe du président est l’un des axes du régime présidentiel dont l’hypothèse pour la France avait été rejetée, comme l’avait clairement souligné Michel Debré, le 27 août 1958 devant le Conseil d’Etat : « la marque du régime présidentiel est faite de l’importance du pouvoir donné en droit et en fait à un chef d’Etat élu au suffrage universel direct (…) Ni le parlement dans sa volonté de réforme manifestée par la loi du 3 juin, ni le gouvernement n’ont succombé à cette tentation et c’est, je crois, sagesse ». La deuxième raison se combine d’ailleurs avec la première. L’élection au suffrage universel direct faisait resurgir les fantômes politico-juridiques de 1848 : lors des débats de l’assemblée constituante d’alors, le républicain Félix Pyat n’avait-il pas déclaré que « l’élection du président au suffrage universel était un sacre autrement divin que l’huile de Reims et le sang de Saint-Louis ». Et l’élection directe ayant finalement été adoptée, la politique du premier président élu par les citoyens le 10 décembre 1848, en l’occurrence Louis-Napoléon Bonaparte, avait débouché sur une dictature. Des souvenirs encore vivaces alors que, de plus, de Gaulle était, peu ou prou, suspecté de dérive bonapartiste.

En fait, la mutation politique sera possible après l’indépendance algérienne. La précarité de la fonction présidentielle fut clairement révélée par l’attentat du Petit-Clamart, fomenté le 22 août 1962, par les terroristes de l’OAS qui reprochaient au chef de l’Etat d’avoir concédé l’indépendance à l’Algérie. Comprenant que l’organisation factieuse n’avait sans doute pas assouvi totalement sa haine et que la question de la succession présidentielle pouvait effectivement se poser dans de brefs délais, il apparut aux yeux du général plus que jamais nécessaire de rehausser l’équation personnelle du président de la République. La campagne référendaire sera âpre et vive opposant les gaullistes au PCF ainsi qu’au « Cartel des non » regroupant indépendants, centristes, radicaux et socialistes. Au delà du choix de la procédure, l’article 11 de la Constitution qui ne permettait pas les révisions constitutionnelles, les opposants à la réforme avaient justement compris que c’était la prépondérance parlementaire, traditionnelle dans l’histoire constitutionnelle française, et le régime représentatif qui étaient visés. Car, le poids du président ne serait plus le même face à un Premier Ministre amoindri et un parlement aux procédures « rationalisées », c’est à dire fort encadré et finalement amoindri.

Le référendum ayant été positif, l’élection présidentielle se déroule donc au suffrage universel depuis lors. Le premier scrutin selon cette procédure se tient en décembre 1965. Les règles posées à l’origine exigeaient pour les candidats potentiels le parrainage de 100 élus nationaux ou locaux : parlementaires, conseillers généraux, maires. Le parrainage citoyen ou donné par les conseillers municipaux n’était pas été envisagé. Mais le « succès » de la présidentielle et la multiplication des candidatures (6 en 1965, 7 en 1969, 12 en 1974) vont entraîner des conditions plus drastiques : à deux reprises, en 1976 et en 2016, les conditions vont être rendues beaucoup plus difficiles, ne permettant finalement la compétition présidentielle qu’ aux seules « grandes » formations politiques et rendant difficile pour ne pas dire impossible la participation politique de l’ensemble des personnalités et des tendances du prisme politique. Un étrange paradoxe quand on sait que la réforme gaullienne s’expliquait aussi par la volonté de réduire le poids des appareils politiques !…

De 1976 à 2016, ce ne sont plus 100 mais 500 signatures que le candidat présidentiel doit recueillir, émanant toujours des parlementaires, des conseillers régionaux ou départementaux, des conseillers de Paris, des députés européens, des membres de l’Assemblée de Corse ou des assemblées des COM ainsi que des maires. Les parrainages citoyens et les parrainages des conseillers municipaux sont toujours prohibés. Il faut par ailleurs que les élus appartiennent à 30 départements ou collectivités différents. Le nombre des signataires du même département ne doit pas dépasser 10% du total. Les noms des « parrains » sont désormais publiés par le Conseil constitutionnel qui vérifie la validité des parrainages. Mais, entre 1976 et 2016, si un candidat a obtenu plus de 500 signatures, 500 noms seulement tirés au sort sont publiés.

Ces règles ont été encore rendues plus strictes par la loi organique du 25 avril 2016. Désormais, ce sont les élus signataires qui sont chargés de l’envoi par voie postale des formulaires au Conseil constitutionnel. Pas d’envoi par internet avant….2020 ! Les candidats ne peuvent plus constater si les documents sont remplis sans erreur. La publicité sera faite au moins deux fois par semaine. Et tous les parrainages seront rendus publics. Quant à la campagne électorale se déroulant avant la campagne officielle précédent le scrutin, la loi précise que, désormais, elle se déroule selon des normes modifiées : l’équité absolue n’est plus de mise mais la représentativité des candidats sera appréciée en fonction des résultats obtenus aux précédentes élections et des indications des sondages d’opinion ! Ce qui signifie que les candidats issus des nouvelles formations n’auront pas la garantie absolue de pouvoir s’exprimer à travers les médias audiovisuels autant que « les grands candidats »… Où est l’équité ? Où est la nécessaire égalité entre les candidats qui sollicitent les suffrages du peuple français ? On le voit, l’élection présidentielle n’est plus la même pour tous les candidats….

Quel enseignement tirer de ces conditions drastiques ? Il faut tout simplement souligner que la candidature présidentielle n’est autorisée qu’à un cercle réduit de candidats soutenus par des « grands » partis politiques. Et que les candidats des « tiers partis » ne disposent plus d’un traitement égalitaire. C’est là, la perversion du système et sa paradoxale dérive : si de Gaulle voulait limiter l’influence des partis politiques, ce sont les partis qui détiennent le monopole de la représentation ! Pourquoi ? Parce que les élus ne se trouvent pas dans un « splendide isolement » comme sous la Restauration ou la Monarchie de juillet. La quasi totalité des parlementaires appartiennent à des formations politiques, tout comme les élus régionaux ou départementaux. Or, les partis politiques, des formations généralement « rigides », exigent naturellement de leurs élus qu’ils se prononcent seulement pour le candidat de leur formation. Le jeu des parrainages est donc clos et c’est dans le vivier des maires ruraux, la plupart du temps sans affiliation partisane, que les candidats présidentiels, hormis ceux des deux grands partis (LR et PS), doivent trouver leurs parrainages. Une quête très délicate puisque les maires rechignent souvent à s’engager, redoutant les pressions politiques exercées dans le cadre des communautés de communes ou par des électeurs mécontents de leurs parrainages. Et parrainer un candidat, non pas pour le soutenir mais pour permettre l’expression de la démocratie pluraliste n’est pas un acte facilement compris, fort malheureusement, par une opinion publique mal informée ou plus ou moins volontairement rétive… Peu de maires franchissent le pas, craignant à tort ou à raison des représailles électorales lors des municipales suivantes…

Ainsi se referme le cercle de la présidentielle réservée seulement à une élite politique !… Et le pluralisme démocratique en souffre. La présidentielle ne donne alors que l’illusion d’un choix, ne laissant aucune chance aux « petites «  formations ou aux candidats indépendants. Où est la démocratie espérée ? On objectera que le système permet l’élimination des farfelus ? Seuls deux candidats « fantaisistes », Marcel Barbu en 1965 et Louis Ducatel en 1969, ont pu se présenter… Et si l’on souhaite que la présidentielle soit le moment d’un débat, il est légitime de battre en brèche les discriminations. Seuls les citoyennes et les citoyens sont à la source du pouvoir.

Il ne s’agit pas ici de discuter du poids acquis dans le système politique par le président de la République. L’on ne change pas la constitution en un tournemain romantique, même si nécessairement la réflexion devra être conduite à ce sujet tant le système de la Cinquième République a atteint ses limites. Il s’agit plutôt d’envisager aujourd’hui des éléments de solution pouvant améliorer la démocratie et rendre, autant faire se peut, à l’élection présidentielle son caractère ouvert.

Il est nécessaire d’ouvrir le « cercle » des parrains pour que les candidats potentiels ne dépendent plus du bon vouloir des appareils politiques et de celui des maires. A qui l’ouvrir ? Deux pistes peuvent être privilégiées : le vaste groupe des conseillers municipaux qui est beaucoup plus divers politiquement et beaucoup plus représentatif que les personnalités à qui est réservé jusqu’à aujourd’hui le « droit de parrainage ». Et deuxièmement les citoyens dans un cadre que la loi pourrait aisément fixer. Ce qui permettrait au passage de renforcer le rôle des citoyens dans le système politique, d’en faire des acteurs et non plus des spectateurs passifs.

On ne mésestime certes pas le risque de la multiplication des candidatures. Pour éviter cette dérive, il suffit d’augmenter le nombre des signatures nécessaires et leur répartition. Et envisager un panachage avec les parrainages citoyens. Tout étant toujours rendu public par le Conseil constitutionnel.

Le but recherché doit être une meilleure respiration démocratique et une représentation équitable des tendances du pays débouchant sur le renouvellement de la classe politique, la limitation des privilèges des oligarchies et l’expression citoyenne. C’est à ce prix que l’élection présidentielle retrouvera son caractère d’élection réellement pluraliste. Dans l’attente d’un débat plus vaste et nécessaire sur les institutions de la Cinquième République. La démocratie ne peut être, ne doit être confisquée par les oligarchies partisanes.

 

Partager l'article
sur les réseaux sociaux

Facebook
Twitter
WhatsApp
Telegram
LinkedIn

Commentaires

2 réponses

  1. Certes cette réforme quant au mode de désignation des candidats est certainement nécessaire mais, seule, cette réforme ne suffira pas à changer la dérive de la fonction et du fonctionnement du couple dirigeant, président et premier ministre. En effet, le passage du septennat au quinquennat voulu pour éviter une fin de mandat de J. Chirac qui eut été catastrophique du fait de sa maladie et l’alignement des législatives sur celui de la présidentielle ayant pour but d’éviter le retour à des cohabitations, ont complétement transformé la constitution au point que je me demande s’il est encore raisonnable de parler de 5ème république. Il faut donc aussi mener des modifications rendant au président sa fonction d’arbitre et au premier ministre la conduite du gouvernement. Comme par exemple le septennat suivi en cas de réélection d’un quinquennat en revenant à des législatives tous les 6 ans.

  2. Je ne suis pas en désaccord avec la proposition, mais si on regarde plus largement que la présidentielle de nombreuses élection ne réclament pas de parrainages, et cela ne permet pourtant pas une victoire de mouvements citoyens ou de candidats Independent des partis. Les solutions me semblent plus dans la prise de conscience par les électeurs : information, éducation,…

Plus
d'actualités