Robert Hue Irak sénat

Robert Hue dans le débat sur la France et l’Europe face à la crise au Levant

Intervention de Robert Hue au sénat le mardi 18 octobre 2016.

Débat sur la France et l’Europe face à la crise au Levant (Position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie relatif à la crise des réfugiés et sur les conditions de mise en œuvre de cet accord)

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mission d’information sur la position de la France à l’égard de l’accord de mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie vient tout juste de rendre ses conclusions. Je reviendrai sur cet accord qui, nous le savons, est une conséquence directe de la crise tragique qui se joue au Levant.

Ce débat intervient alors que la bataille de Mossoul vient d’être déclenchée. M. le ministre de la défense a qualifié cette ville d’« émetteur d’idéologie ». Sa reprise pourrait changer la donne, en libérant l’Irak du principal bastion de l’État islamique. Souhaitons en tout cas qu’il en soit ainsi…

Au regard des moyens colossaux engagés dans cette opération par tous les acteurs impliqués aux côtés de l’Irak, la victoire des alliés est probable, mais à quel prix et dans combien de temps interviendra-t-elle ? Si la bataille venait à durer, on devrait s’attendre à un drame humanitaire, un de plus, qui s’ajouterait au martyre que vivent les habitants d’Alep, dans la Syrie voisine.

En outre, lorsque nous aurons délogé l’État islamique de Mossoul, nous n’en aurons pas fini, hélas, avec les djihadistes, qui, même disséminés, savent se réorganiser. Ainsi, le Front Fatah al-Cham profite de l’affaiblissement de l’État islamique pour s’affirmer.

Aussi les discussions politiques doivent-elles s’intensifier, car chaque jour qui passe apporte son lot de victimes et de ressentiments sur le terrain, ce qui nous éloigne toujours un peu plus de l’objectif ultime de réconciliation des populations civiles au Levant.

Quel peut-être le rôle de la France dans tout cela, monsieur le ministre ? Nous le voyons bien, notre diplomatie n’est pas inerte, tant s’en faut, en tout cas pour ce qui est de prendre des initiatives. Je pense à la dernière en date, à savoir la proposition française de cessez-le-feu présentée lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité de l’ONU, qui n’a pas abouti. Néanmoins, on a pu mesurer, à cette occasion, combien est difficile le pourtant indispensable dialogue entre Paris et Moscou. Cette situation est regrettable, tout comme l’est notre exclusion des discussions de Lausanne, samedi dernier…

Vous le savez, le groupe du RDSE a toujours considéré que la Russie était un partenaire incontournable, tant dans la gestion du dossier syrien que dans la lutte contre notre ennemi numéro un, l’État islamique. Même les États-Unis se sont rendus à cette évidence et, malgré les accrocs, les contacts s’intensifient entre Washington et Moscou : cela s’appelle la realpolitik ! Il n’est de solutions, au Levant comme ailleurs, comme le rappelait M. Raffarin, que fondamentalement politiques.

En attendant le règlement de ces crises, des réfugiés continuent d’affluer aux frontières de l’Europe. Certes, le mouvement s’est ralenti, en partie grâce à l’accord du 18 mars 2016 entre l’Union européenne et la Turquie. Cet accord a pu susciter des débats quant à sa solidité juridique et aux conditions politiques, en particulier internes à la Turquie, dans lesquelles il a été conclu, mais il a le mérite d’exister et de créer un pont politique avec ce pays, partenaire incontournable, tout comme la Russie, pour la recherche d’une solution.

Il fallait agir, d’autant que – tous les experts sont formels sur ce point – l’Europe doit se préparer à connaître de nouvelles pressions migratoires, notamment en provenance du Sahel. Il est donc urgent que l’Union européenne se dote d’une véritable politique migratoire instaurant, par exemple, des voies légales de migration ou une politique d’asile commune. En effet, acculée en 2015 et en 2016 par un afflux de réfugiés sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Union européenne a, là aussi, montré ses faiblesses tant matérielles que politiques.

En situation d’urgence humanitaire, l’Europe s’est révélée incapable d’apporter des réponses. Pour contenir la situation aux frontières, il a fallu s’en remettre à la Turquie ou réformer FRONTEX et accroître son budget dans la précipitation. Comment se peut-il qu’un ensemble européen de près de 500 millions d’habitants ne soit pas capable d’accueillir 1 million de réfugiés, quand la Turquie en abrite plus de 2,7 millions, et le Liban plus d’1 million ?

Tout cela n’est que le reflet des difficultés que rencontre l’Europe pour présenter un seul visage, ce qui lui donnerait plus de poids, à l’heure où de grands ensembles régionaux s’organisent partout dans le monde. Hélas, dès que la solidarité est mise à l’épreuve, les réflexes souverains finissent par l’emporter, comme l’a montré la remise en cause de l’espace Schengen.

Si nous voulons donner toute sa force à un ensemble théoriquement en mesure de transmettre des valeurs universelles, il nous faut repenser dans ses fondements l’Union européenne. En effet, si les outils techniques pour relever les grands défis finissent toujours par émerger, on voit bien que s’instaure toujours davantage une « Europe à la carte », ce qui nous éloigne du principe de solidarité, laquelle doit pourtant rester, à mon sens, la clef du progrès pour tous. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe CRC. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

 

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