Toulouse : elections municipales

Vote FN, PS et UMP décrédibilisés : le populisme progresse. Mais il n’est pas une fatalité

Sébastien Nadot

 

LE PLUS. Les élections se suivent et se ressemblent, en France. Amorcée depuis plusieurs années, la montée en puissance de l’extrême droite se confirme au fil des scrutins locaux. L’essor du populisme est-il pour autant une fatalité ? Réponse de Sébastien Nadot, docteur en histoire, professeur, ex-candidat à la tête d’une liste citoyenne et progressiste lors des sénatoriales 2014. Un article publié sur L’Obs

Les nouveaux modes de communication ont transformé nos possibilités de comprendre le monde. Quand hier, « Le Figaro », « Le Monde » ou « L’Humanité » offraient aux lecteurs de fines analyses, il se trouvait de nombreuses personnes à lire de A à Z leurs articles.

La complexité d’un sujet était appréhendée. Le discours des politiques pouvait être interprété à l’aune de raisonnements fondés, pesés, discutés, puis débattus.

Aujourd’hui, la multiplication des sources (papier, TV, internet), la mondialisation des informations et la perte du sens de la hiérarchisation des informations empêchent le citoyen normal d’approfondir sa réflexion, quel qu’en soit l’objet.

Les partis sont devenus des agences de com’

Les politiques ont compris qu’il était devenu très difficile de s’adresser à leurs concitoyens au-delà de quelques phrases chocs. Résultat : les partis politiques sont devenus – sans s’en rendre compte – des agences de communication. Quelques beaux slogans pour vendre un produit…

Pendant la campagne présidentielle de 2012, Jean-Luc Mélenchon avait choisi dans un premier temps une approche explicative. Qu’on soit d’accord avec ses positions ou pas, son discours de Villeurbanne s’était fendu d’une véritable démarche pédagogique sur le droit du travail et ses conséquences au quotidien. Seul à concourir dans cette catégorie, il a ensuite préféré rallier le camps des autres, celui de la com’.

Désormais, chaque nouvelle échéance électorale est comparable à une énorme campagne publicitaire, à qui vendra le plus de sa lessive. Coluche apprécierait… Rien sur le contenu, tout sur la forme.

Le peuple est-il responsable ?

Téléspectateurs hébétés ou lecteurs superficiels abêtis que nous sommes, le premier reproche à faire revient certainement à chacun d’entre nous. Une démocratie ne peut fonctionner qu’avec un peuple éclairé.

Vaste programme, abandonné dans sa majorité par les familles qui ne pensent plus qu’éduquer leurs enfants est une mission qui leur revient. Vaste programme aussi pour l’Éducation nationale qui avance à tâtons quelques solutions là où il faudrait un plan Marshall immédiat…

Le pays des Lumières a baissé la garde : l’effort intellectuel n’est plus encouragé et la complexité du quotidien n’est plus abordée comme telle. D’un raccourci au suivant, rares sont ceux qui résistent aux sirènes du populisme. Eh oui, ça fatigue d’aller au fond des choses.

Faut-il pour autant, comme l’écrivait Bertold Brecht dans « La solution », « dissoudre le peuple et en élire un autre » ?

Qui d’autre dans le camp des coupables ?

Le constat s’impose et les éditorialistes sont affirmatifs : les politiques dans leur ensemble sont médiocres, sans relief, voire incultes… et donc incapables d’offrir un discours réaliste et explicatif. Il est vrai qu’en dehors de la vitrine redécorée péniblement quelques semaines avant chaque élection, les partis politiques donnent bel et bien l’impression d’être en vacances. Reste à savoir où…

Dans son « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu », Maurice Joly écrivait déjà à la fin du XIXe siècle :

« Si les électeurs ne peuvent pas s’éclairer par des réunions, par des pourparlers, bref, tout ce que les partis politiques sont censés donner comme dynamisme à une démocratie, comment pourront-ils voter en connaissance de cause ? »

Incontestablement, les partis politiques, tous organisés sur un même schéma (datant du début du siècle dernier !) n’apportent aucun souffle à notre démocratie. Pire même, ils semblent l’étouffer. Du côté des politiques, la réponse à leur mise en cause est cinglante : c’est sûr, les médias ne relaient que leur face sombre, oubliant tout le génie dont ils regorgent.

La machine médiatique au rythme fou serait contradictoire avec la temporalité politique, qui voudrait qu’on pense la société de demain sans tenir compte des secousses de l’immédiateté. Les intellectuels sont également convoqués au rang des responsables. Quelle voix entend-on s’ériger contre le populisme ambiant ? Quelle théorie qui puisse alimenter vraiment la pratique ? Quel rêve pour demain, celui qui donne un cap, suscite les énergies, invite à l’optimisme ?

Le cercle vicieux politique français 

En économie, cette situation, où l’effet négatif nourrit et amplifie les causes qui lui donnent naissance, est appelée cercle vicieux situationnel.

Aujourd’hui, la vie politique française paraît coincée à l’intérieur de ce cercle vicieux. Et l’État français, sans réponse, est sommé de réagir.

Mais comment oublie-t-on si facilement qu’il est enfermé dans plusieurs logiques lui interdisant tout acte suffisamment fort pour inverser la tendance ?

D’abord ses outils : une vieille, bien vieille constitution, datant de 1958, conçue ingénieusement à l’époque pour un homme, pour une situation. Les quelques révisions constitutionnelles – impossibles dans la situation actuelle d’une majorité présidentielle anémiée au Parlement – n’ont absolument pas accompagné notre pays jusqu’au XXIe siècle.

Ensuite ses engagements, ceux pris à l’égard d’une Europe politique conçue sans les Européens, sans les Français donc. Le cercle vicieux politique français s’est empêtré dans celui de l’Europe économique. Enfin, il ne fait mystère pour personne que le contexte budgétaire extrêmement contraint qui s’impose à notre pays ne favorise pas le dynamisme et les innovations nécessaires pour se tourner vers demain…

La démocratie mérite bien des efforts

Situation sans issue ? Virgile raconte dans « L’Énéide » comment Palinure ne peut rejoindre avant un long délai l’autre rive des enfers. En attendant, une prêtresse apaise son malheur en dédiant un lieu pour honorer ce navigateur hors pair : « le Cap Palinure ».

Il est vain de penser qu’on peut brutalement sortir du cercle vicieux populiste dans lequel nous sommes entrés. Il l’est d’autant plus que les enseignements de l’histoire ne peuvent suffire à trouver la parade. Un nouveau paramètre vient brouiller la donne : les nouvelles technologies et cette propension au populisme 2.0. Les bonnes réponses ne sont peut-être pas dans les manuels d’histoire ou d’économie.

Il est difficile de croire que dans la crise durable et généralisée qu’il traverse, le peuple dispose des ressorts pour réagir seul. Il est improbable que les médias, eux-mêmes en proie aux terribles nécessités du tout instantané, du tape-à-l’œil et des lois du marché, modifient leur approche.

Ne reste pour inventer une nouvelle voie que les politiques, les intellectuels et les gens qui pensent encore que la démocratie mérite bien des efforts.

L’impasse des partis traditionnels

À l’UMP comme au PS, les guerres claniques pompent l’essentiel de l’énergie. Si l’on ajoute l’inévitable usure du pouvoir chez les socialistes, il y a fort à parier que le souffle nécessaire à une alternative crédible n’est pas là. Problèmes d’appareils ajoutés au problème des institutions, les partis traditionnels ne semblent pas en mesure d’apporter le début d’une solution pérenne.

La gauche radicale (Front de Gauche et une partie d’EELV) offre parfois une perspective séduisante mais d’un irréalisme consternant. En faisant le pari de l’échec socialiste dès le lendemain de l’élection présidentielle de 2012, elle a pris la responsabilité de mener la gauche dans le mur. Contre l’histoire qui a montré que seule la gauche unie a vu ses idéaux se concrétiser, elle s’est opposée immédiatement et totalement aux socialistes.

Somme toute, la réponse du gouvernement de ne porter aucune des revendications principales de la gauche radicale est très logique. Mais le résultat de cette absence de considération et de dialogue entre partenaires potentiels est sans appel : plus grand monde ne trouve son compte dans cette gauche française éclatée.

Changer de logique politique

Ne reste alors que les plus petites entités et les individus qui se sentent encore concernés : des petits partis aux mouvements associatifs, du chômeur de longue durée au prof désespéré, de la caissière de supermarché au patron de PME, de l’économiste atterré au commerçant de quartier, il existe un vivier de talents, d’innovation et de dynamisme.

Actuellement, ces structures et ces gens n’ont aucune visibilité – le système médiatique en fait un principe – mais en s’unissant ils pourraient éveiller un nouvel élan. Les gens de bonne volonté – sages figures politiques et médiatiques ou anonymes – soucieux des valeurs de notre République, de sa terre et de son vivre ensemble, peuvent écrire la réponse d’avenir au populisme ambiant et redonner à chacun une raison de participer à l’aventure de leur pays.

Le Cap Palinure existe ! Les intellectuels, les responsables politiques et associatifs et tous ceux qui s’inquiètent d’un pays la porte ouverte au populisme doivent s’unir par-delà leurs différences, leurs divergences et leurs questions d’ego. Le dialogue doit primer sur le conflit : un compromis est devenu indispensable.

La réponse au populisme passe par une nouvelle logique politique.

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