Absentéisme scolaire : supprimer les allocs est obscène !

SebastienChinsky_01_2014_Copier Nicolas Sarkozy, dans le discours adressé aux français après la déroute de l’U.M.P aux élections régionales, revient une nouvelle fois sur l’idée que la lutte contre l’absentéisme scolaire doit passer par des sanctions financières infligées aux parents. Conditionner l’attribution des allocations familiales à l’assiduité scolaire des enfants est un projet récurrent de ce gouvernement.

Le présupposé de ce projet tient en la conviction que si les enfants ne se rendent pas à l’école, c’est nécessairement que les adultes ne remplissent pas leur rôle et laissent leurs enfants déserter les salles de cours. Les parents seraient démissionnaires, laxistes, irresponsables et la solution résiderait donc dans une contrainte financière.

Il y a quelques choses d’obscène à laisser penser que les parents s’intéresseraient d’avantage à l’obtention d’allocations qu’à, l’avenir de leurs enfants. Il faut être bien loin du terrain  pour prêter de telles pensées aux familles qui subissent l’absentéisme scolaire de leur enfant. Il faut être bien loin du terrain pour penser que les parents s’intéressent davantage à leurs allocations qu’à l’avenir de leurs enfants.

Dans mon travail d’éducateur auprès de famille en difficulté je suis amené à travailler avec ces parents, ces mineurs qui ne se rendent plus à l’école. J’exerce ce métier depuis près de 7 ans. Durant ces 7 ans, je n’ai jamais rencontré de parents qui se désintéressaient de la scolarité, du parcours de formation de leur enfant. La question de la scolarité, du parcours d’insertion est même la source de conflit récurrent entre les jeunes et leurs parents.

Il est rassurant de penser que l’absentéisme scolaire n’est que l’affaire des parents démissionnaires. Car si ce n’est que leur problème à eux, ça ne peut être mon problème à moi. Je ne suis pas concerné. Supprimer leurs allocs et laissez-moi en paix. Le problème n’est pas si simple que ça. Le problème c’est que les parents ne sont pas seuls responsables de l’évolution de leurs enfants, et que tous les parents peuvent se retrouver un jour où l’autre à devoir gérer l’absentéisme d’un de leurs enfants. Et rien ne garantit qu’alors ils puissent trouver les clefs leur permettant de faire revenir l’adolescent vers le système scolaire.

Je ne suis pas un père démissionnaire et il y a peu de chance que je le devienne. Je ne peux pour autant exclure que mon enfant soit un jour pris dans ce mécanisme qui fait que certains élèves cessent, pour un temps, de fréquenter l’école. Les raisons qui poussent ces jeunes à ne plus se rendre en formation sont de plusieurs ordres factoriels.

–         d’ordres personnels entrent en compte, relation amicale, amoureuse, traumatisme du à une évolution familiale (divorce, décès…)

–         d’ordre institutionnel : confronté à un échec récurant l’enfant peut se démobiliser et perdre tout intérêt pour l’école et toute confiance en l’institution.

Les parents ne vivent pas dans une bulle, en marge de la société, à l’intérieur de laquelle ils seraient tout puissants dans l’éducation de leur enfant. Cette éducation est pénétrée par ce que les enfants vivent en dehors de la cellule familiale et en particulier dans l’institution ou les jeunes sont le plus fréquemment : l’éducation nationale.

C’est la rencontre entre l’éducation familiale et l’extérieur qui va constituer l’expérience constituant pas-à-pas la personnalité d’un enfant. Cette rencontre entre l’extérieur et le mineur  ne se fait pas sans violence. De cet apprentissage de l’être en société, de l’être au monde, l’enfant retire de la maturité et des blessures. Les parents ne sont pas maîtres de ses blessures, de leur conséquence, de leur ampleur. Tout au plus sont-ils maîtres des soins et du cadre qu’ils tentent d’apporter à leurs enfants. Quand les enfants rompent, quand leur mal-être prend un tel place qu’il les coupe du parcours « normal » les parents tentent de colmater les brèches et si le bateau coule, malgré les cataplasmes, ils sont désemparés et peuvent s’attendre à être qualifiés de démissionnaires.

La première stigmatisation est celle de la convocation par l’établissement scolaire. Ils font désormais partie de ses parents qui doivent répondre des absences de leurs enfants. L’EN est généralement bienveillante durant ces rencontres. Il n’en demeure pas moins que les rencontres sont culpabilisantes pour les  parents.

Vient ensuite toute la batterie, signalement pour absentéisme à l’Aide Sociale à l’Enfance, on se retrouve à avoir un suivi social. Les parents sont généralement rassurés de voir des éducateurs intervenir à leur côté.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que parfois, dans certains cas, notre intervention à nous, services sociaux, ne va pas permettre la fin de l’inactivité de leur enfant. Ce n’est pas que nous soyons des éducateurs laxistes, ou démissionnaires, c’est que parfois, le jeune n’en est pas là : ses questions ne sont pas celles de l’insertion, de la scolarité, de l’avenir. Il faut parfois du temps pour que l’adolescent en vienne à admettre que ces questions sont essentielles et qu’il va falloir prendre à bras le corps la construction d’un avenir professionnel. Le temps est une donnée incompressible dans l’éducation et parfois il ne sert à rien de vouloir brusquer l’enfant.

Mettre en cause les parents est une manière pour l’État de se dédouaner de sa responsabilité sur ce sujet et la responsabilité de l’État est de mettre en place des lieux adaptés pour accueillir les jeunes qui souffrent de l’échec scolaire, de mettre en œuvre des programmes permettant à ces jeunes de rattraper le retard accumulé. L’absentéisme scolaire n’est pas seulement la responsabilité des parents, ce n’est pas seulement une responsabilité  « individuelle » qui ne concernerait finalement que les parents touchés par ce problème, c’est une question sociale qui se pose à l’ensemble de notre société et à nos représentants. Cette question collective peut se formuler ainsi : De quels moyens nous dotons-nous pour porter notre jeunesse vers un degré de connaissance et de culture générale supérieur à celui qui est le sien aujourd’hui ?  De quels moyens nous dotons-nous pour éviter que des enfants ne sortent du système scolaire en ne maitrisant qu’insuffisamment la lecture, l’écriture et la base des mathématiques ?

La mobilité professionnelle devient une règle dans notre société, mobilité géographique d’une part, mais aussi et surtout une mobilité dans des secteurs d’activités différents. Les jeunes que nous « formons » aujourd’hui risquent de rencontrer au cours de leurs parcours professionnels la nécessité de changer de branche, de retourner en formation. La formation initiale reste un moment clef : la qualité de cette formation influe nécessairement sur les formations « continues » que pourront suivre ces jeunes quand ils seront confrontés à la nécessité de changer de voie (ou quand ils en auront le désir).

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