Ayons une politique de l’exigence pour les jeunes en difficultés !

SebastienChinsky_01_2014_Copier Les campagnes politiques semblent nécessairement rythmées par la question de l’insécurité: couvre-feu pour les mineurs, caméras de sécurité? Nouveau code pénal pour les mineurs, plus de fermeté. L’UMP en appelle au bon sens, à la sagesse populaire: Des jeunes sont délinquants? Frappons plus fort et ils rentreront dans le rang. Leurs parents sont démissionnaires? Coupons-leur les allocs.

Face à ce discours simpliste, la gauche s’englue. S’opposer aux discours réactionnaires est un travail d’équilibriste : défendre la possibilité d’un travail de prévention, c’est prendre le risque politique de passer pour un irresponsable qui ne prend pas en compte l’impact d’une violence de plus en plus importante de jeunes de moins en moins âgés.

Le problème de la jeunesse délinquante je le connais, je suis éducateur à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Je travaille avec ces jeunes « délinquants » quotidiennement, je travaille avec leurs familles. Et si mon travail est de venir en aide aux jeunes sous main de justice, mon travail ne m’empêche pas de prendre conscience des conséquences des actes que ces jeunes commettent. En travaillant avec les auteurs je m’emploie à leur faire prendre conscience de l’existence de victimes en face d’eux.

Je m’emploie aussi à les aider à dépasser leur mal-être, leur histoire, leurs difficultés sociales en général.

Il n’est pas dans mon intention de nier qu’un problème existe, de nier qu’une part, extrêmement minoritaire, de la jeunesse en arrive à commettre des actes délinquants. Ces actes délinquants créent sans aucun doute un trouble à l’ordre public.

Il est de mon intention en revanche de remettre ce problème en rapport avec son ampleur réelle.

Laurent Muchielli dans sa note de recadrage[1] s’appuie sur les chiffres du gouvernement pour les expliciter : il n’y a pas en France de rajeunissement de la délinquance, les jeunes délinquants sont déjà largement sanctionnés dans le système actuel (y compris par des peines privatives de libertés), ils ne sont pas de plus en plus violents.

Il y a en revanche chez les jeunes dont j’ai la charge et qui vivent dans des cités, une banalisation de la violence agie et subie. La violence est un mode normal de règlement des conflits et sert à régler les problèmes de place dans le groupe (de meneur à dominé). Elle n’est pas quotidiennement dramatique, mais la régularité de cette confrontation influe fortement dans le processus de construction de l’enfant.

Il est essentiel qu’une « culture » différente soit mise en contact régulièrement avec cette culture que l’on appelle communément « culture de la cité ». C’est en ce sens que les éducateurs de prévention ont un rôle crucial à jouer : amener de la différence et rappeler la norme de la société de façon à ne pas laisser cette banalité du rapport de force s’installer.

Le plus gênant dans l’irréalité des chiffres du gouvernement est que celui-ci construit, à partir d’un fait de société mineur, un sujet politique majeur (car il faut encore le rappeler, la jeunesse « bruyante, voyante, inquiétante » est une minorité et dans cette minorité il existe une minorité de délinquants). Il jette le voile sur la réelle question qui se pose pour la jeunesse en France: quel projet politique peut être développé en direction de notre jeunesse?

Par projet politique j’entends engagement de politique éducative ( scolarité,.loisir, culture) sociale (dispositif d’aide à l’orientation, prise en charge de difficulté matérielle) et insertion (dispositifs alternatifs de formation, apprentissage, mission locale).

Dans un contexte de crise mondiale tel que nous le connaissons il est nécessaire d’être ambitieux pour nos enfants de façon à les armer au mieux. Les armer pour leur permettre de s’épanouir. Les armer pour leur permettre de devenir des citoyens conscients, hargneux, revendicatifs, prompts à l’action collective. Les armer pour qu’ils puissent s’adapter au monde du travail, qu’ils ne soient pas tributaires d’une formation de spécialiste, s’assurer que leur culture générale leur ouvre les portes de formations tout au long de la vie, s’assurer qu’ils ne se retrouvent pas enfermés dans un secteur d’activité qu’ils subiraient, mais bien dans une activité qu’ils ont un minima choisi et qu’il leur soit possible de quitter, si à un moment de leur vie d’adulte ils en font le choix.

Le premier échelon de ce projet politique s’inscrit nécessairement dans la formation initiale qui leur est prodiguée. Les savoirs de bases (lecture, écriture, calcul…) sont des étapes cruciales de la construction de l’avenir d’un enfant. Le développement de la curiosité, la volonté de savoir, le sens critique se construisent de même à l’école (et dans la famille, mais j’y reviendrai).

La question du décrochage scolaire me semble être une question clef pour notre jeunesse. Rattraper les rendez-vous manqués avec le savoir (en particulier les savoirs de base) sont encore à l’heure actuelle extrêmement difficile à rattraper.

Une politique sociale de l’éducation ne peut faire l’économie de la construction d’un projet ambitieux visant à limiter le décrochage scolaire des enfants.

Limiter le décrochage ne doit pas uniquement servir à proposer des parcours adaptés à des jeunes qui n’ont pas trouvé leur place dans le système scolaire. Il faut aussi conserver des exigences. Il ne doit pas s’agir de diluer la culture générale au prétexte que ce qui est important ce sont les matières techniques. Le peu d’heures de matières générales en CFA (en particulier) doit s’accompagner d’une volonté sans faille de transmettre l’essentiel : savoir de base et envie de connaitre.

Il serait trop facile de jeter la pierre sur les équipes enseignantes des établissements scolaires « professionnels ». Il est nécessaire de garder en mémoire que ces établissements accueils des élèves qui ont choisi leur orientation, mais aussi des élèves en échec scolaire qui, eux, l’ont subit. Il serait nécessaire de prodiguer un accompagnement individualisé de ces élèves pour leur redonner le gout de la curiosité, de leur permettre de se croire capables de réussir avant de les confronter à un enseignement exigeant.

Cette demande d’exigence pour la jeunesse que je formule dans ce texte me semble essentielle : un enfant grandit parce que l’adulte en face duquel il se construit à des exigences pour l’enfant. On apprend autant à marcher pour la facilité que cela procure (motricité, manipulation d’objet.), que du fait que nos parents nous reconnaissent capables de (marcher). Les parents dans l’apprentissage de la marche autorisent leurs enfants à marcher et attendent de leurs enfants qu’ils le fassent. Ce binôme autorisation-attente est un moteur important dans la transformation de l’enfant en jeune adulte. L’attente n’est pas nécessairement aussi définie que dans l’exemple de l’apprentissage de la marche. Il est pour autant indispensable que l’adulte attende et autorise la réussite de l’enfant pour que l’enfant invente et atteigne son mode de réussite. C’est ce binôme « attente et autorisation » que j’appelle exigence.

Une société qui n’est pas en mesure d’avoir des exigences pour sa jeunesse est une société qui ne doit pas être surprise de rencontrer des difficultés avec ses adolescents.

Il est dès lors évident qu’il est autant nécessaire de construire les dispositifs éducatifs autour de cette volonté d’exigence, mais aussi de développer les moyens adaptés pour permettre au maximum d’élèves d’atteindre les critères d’exigences qui leur seront proposés.

De mon expérience la question du décrochage scolaire ne saurait être traitée uniquement par le biais de L’éducation Nationale.

Je travaille actuellement sur un projet permettant de créer un maximum de liens entre enfants en difficultés scolaires, parents, et Education nationale. Il m’apparait que c’est autour du renforcement de ce lien qu’un travail de qualité est possible.

Mais cette question du décrochage scolaire n’est qu’un pan de ce que doit être ce plan à destination de la jeunesse.

La politique de l’exigence que j’évoquais en exposant mes convictions en ce qui concerne la formation initiale (EN) des enfants doit se retrouver dans le domaine de l’orientation et de l’insertion. Il est essentiel que le projet d’orientation proposé à un jeune ait pour objectif de l’amener d’une part à obtenir un diplôme, mais d’autre part à construire avec lui un parcours, qu’il réalisera en partie ou en totalité.

Ce parcours doit être construit autour d’une ambition. L’orientation doit avoir pour but d’amener le jeune à commencer de construire une carrière. L’ambition ne doit pas ici être vue comme une valeur capitaliste, mais comme objectif de vie permettant à l’individu de se sentir progresser, de s’accomplir (en partie, reste l’accomplissement familial et personnel) en se reconnaissant des marges de progression.

Ceci implique encore une fois une volonté politique et la mise à disposition de moyens.

L’orientation des jeunes se bâtit nécessairement en prenant en compte les possibilités de formations existantes. Il serait illogique d’exiger aux services en charge de l’orientation des jeunes de créer de l’ambition chez les jeunes s’il ne leur était donné les moyens concrets d’atteindre cette ambition.

Les jeunes ne connaissant pas de difficulté notable au niveau scolaire peuvent facilement être orientés avec la philosophie que je décline sans modification structurelle importante.

Il est en revanche essentiel de penser les structures permettant aux jeunes en difficulté d’être ambitieux sans les mettre en échec.

Les dispositifs existants pour accompagner ces jeunes dans leur parcours d’insertion sont, souvent de qualité. Les missions locales, CIO, Espace dynamique d’insertion, mission générale d’insertion, École de la seconde chance… forment un tissu important de soutien et d’accompagnement.

Il n’en demeure pas moins que les places dans des dispositifs qualifiants sont rares. Les écoles de la seconde chance (ainsi que les EPIDE mis en place par le ministère de la Défense) sont encore peu nombreuses et doivent refuser des jeunes. Certains dispositifs ont des modalités d’admission qui empêchent les jeunes les plus en difficultés de les intégrer (être passé par tel dispositif avant de pouvoir s’inscrire dans celui que le jeune souhaite).

Il est nécessaire d’adapter les places disponibles aux demandes et d’envisager la création de nouvelles structures de raccrochage.

Il est urgent de sortir de la logique sécuritaire qui préside aux politiques pour la jeunesse depuis une dizaine d’année. Il est urgent de proposer à la jeunesse un projet qui lui offre un avenir. Car la jeunesse ne peut se projeter et s’investir dans une société qui si elle sent que cette société prend en compte ses besoins et ses difficultés.

Nous, dans notre engagement politique, dans notre travail quotidien, portons une grande responsabilité envers notre jeunesse. J’en appel à une forte mobilisation pour mettre en place une politique sociale, juste, humaine, qui servent notre jeunesse.

J’en appel à nos convictions d’homme de gauche, de progrès pour que soit porté dans le débat politique le sujet inévitable de la jeunesse. Dans cette période de crise où la population est insécurisée socialement et économiquement il est urgent de donner du souffle à notre jeunesse.


[1] Note statistique de (re)cadrage sur la délinquance des mineurs, laurent Muchielli, Sociologue, directeur de recherches au CNRS groupe claris

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