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Bandes: « L’expression d’une souffrance »

fize Il y aurait aujourd’hui 618 bandes en France. C’est ce que révèle un rapport de la sous-direction de l’information générale (SDIG) que s’est procuré Le Figaro. Si les bandes ont toujours existé, elles ont cependant évolué au fil du temps comme l’explique le sociologue Michel Fize* au JDD.fr. Et cette escalade de la violence est due, selon lui, à un climat social dégradé.

On utilise souvent ce terme, mais qu’est ce qu’une « bande »?
Je reste toujours perplexe sur ce que l’on met derrière le mot « bande »… Une bande réunit des jeunes d’une même génération. Un gang criminel, lui, regroupe plusieurs générations. C’est ce qui fait la principale différence entre les deux. Quand on est dans l’univers des jeunes, dans la question notamment des trafics de stupéfiants, on est dans quelque chose de mouvant, voire d’insaisissable. Une bande, c’est quelques jeunes qui se regroupent pour une occasion particulière, mais ce n’est pas une structure permanente. 

Selon un rapport que s’est procuré Le Figaro, 618 bandes ont été recensées en France par la sous-direction de l’information générale (SDIG, ex-Renseignements généraux). Contre 222 en septembre 2008. Comment expliquez cette progression?
On revient avec ce rapport à la question principale: de quoi parle-t-on exactement? Si on veut être précis, il faudrait alors parler de gang organisé avec effectivement des chefs, une hiérarchie, un projet… Nous sommes toujours dans le fantasme de groupes organisés et malfaisants. Ceci étant, quand on porte une attention plus grande sur un phénomène, il apparaît toujours plus important. On ne saura jamais si c’est parce qu’il y en a plus ou parce qu’on en parle davantage. 

Quelle est réalité sur le terrain?

Il y a incontestablement une montée de la violence, d’une violence assez radicale. Je pense que le niveau d’intolérance des jeunes à leur mauvaise situation augmente. Ils ne supportent plus de vivre dans ces conditions là et ils le font savoir bruyamment, souvent collectivement. C’est un ras-le-bol, car beaucoup sont dans des situations familiales et scolaires très difficiles. Certains ne possèdent pas de perspectives d’avenir. Ils ne voient rien se dessiner devant eux. La violence est l’expression d’une frustration et d’une souffrance. C’est aussi pour ces jeunes un mode de communication.

Mais le phénomène de bandes a pourtant toujours existé…
Oui, depuis le temps des Apaches** au début du XXe siècle, des Blousons noirs au milieu du XXe siècle… Sauf que la bande avait un temps de vie limité, puisqu’à cette période là les jeunes trouvaient du travail, avaient un parcours scolaire de réussite. Aujourd’hui, les bandes sont à durée de vie indéterminée. Et les jeunes portent une potentialité de violence qui peut se produire n’importe où, n’importe quand, et prendre n’importe quelle victime pour cible. Le vrai problème, c’est comment répondre à ce phénomène. Je pense que si on veut faire baisser le niveau de délinquance de groupe, il faut traiter les problèmes sous-jacents qui sont d’ordre social. Il faut redonner un esprit, des perspectives d’avenir à ces jeunes.

Un délit d’appartenance à une bande violente a été créé par Brice Hortefeux. Qu’en pensez-vous?
J’avais dit à l’époque que cette loi est extrêmement dangereuse sur le plan des libertés. Le seul fait d’appartenance à un groupe avec une éventualité de commettre des infractions suffit à pénaliser. Cela signifie sanctionner un délit de simple intention. On ne peut pas punir qui que ce soit tant que le délit n’est pas commis. Cela montre bien toute les difficultés d’application de la loi, qui est, à mon avis, sur la corde raide par rapport à la légalité.

«Il faut redonner des perspectives d’avenir à ces jeunes.»

Quelles sont alors les solutions?
Il faut s’attaquer à la racine du mal, lutter contre l’échec scolaire, le chômage des jeunes – d’autant plus massif qu’on appartient aux catégories les plus modestes, dont sont issus la plupart des jeunes se regroupant en bandes – contre la précarité, contre l’impossibilité d’accéder à l’autonomie… La réponse c’est finalement de concrétiser l’insertion sociale. A l’école, il faudrait aussi enseigner très tôt aux enfants les règles qui permettent de vivre en communauté dans l’harmonie, les valeurs de tolérance, de respect de l’autorité, de règlement pacifique de conflits… Ce que les bandes expriment, c’est que nous sommes régis par la loi du plus fort. Il faut réhabiliter l’état de droit. Pourquoi ne pas organiser un grenelle de la sécurité? Et parvenir à imposer un cessez-le-feu entre les jeunes et la police, et, d’une manière générale, avec les pouvoirs publics. Je crois qu’il faut ouvrir le dialogue avec les jeunes en général, et ceux-là en particulier.

La patronne de la division « dérives urbaines » de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) explique que les forces de l’ordre sont « la bande adverse de référence« …
La grande évolution des bandes au fil du temps, c’est qu’on ne se bat plus simplement entre soi, ce n’est plus bande contre bande, mais on se bat contre l’autre, à l’extérieur. Effectivement, contre le policier, mais pas seulement, contre tous les symboles du pouvoir…. Jusqu’au bus. Quand on n’a plus rien, il reste toujours un territoire où vous vivez. On le protège des intrus. Le bus est un intrus permanent, qui passe régulièrement. Sans compter le fait que les jeunes ont bien compris le jeu médiatique. Il y a une escalade dans la spectacularisation pour obtenir la médiatisation et donc faire parler de soi.

* Michel Fize est sociologue au CNRS, spécialiste de l’adolescence, de la jeunesse et de la famille.
Il est également l’auteur de l’ouvrage Les Bandes – De l' »Entre Soi Adolescent » à l' »Autre-ennemi », paru en 2008, aux éditions Desclée de Brouwer.

** Le terme désigne des bandes de jeunes qui commirent de nombreux méfaits à Paris durant la Belle Epoque (1896-1906), notamment dans le quartier de Belleville et de Bastille.

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