Bandes : une loi liberticide

La loi « anti- bandes » du 2 mars 2010, dite loi Estrosi, vient de faire ses premières victimes : deux jeunes gens de 19 et 20 ans, condamnés, le 31 mai dernier, par le tribunal correctionnel de Versailles, à trois mois de prison avec sursis et à 600 € d’amende, pour avoir voulu participer à une bagarre à La Défense, un mois auparavant. Début avril, on s’en souvient, les deux garçons avaient été interpellés au milieu d’une soixantaine d’autre jeunes en gare de Houilles (Yvelines) par des policiers avertis que plusieurs bandes du département s’apprêtaient à aller en découdre avec d’autres jeunes sur le Parvis de la Défense, à Nanterre (Hauts-de-Seine). L’un était en possession d’un petit couteau (7cms, manche compris) caché dans sa chaussure, l’autre était accusé d’avoir jeté des pots de fleurs. Les deux comparaissaient, soupçonnés de tentative de bagarre (sans que personne, à aucun moment, n’ait pu apporter la preuve d’une violence à venir).

Mais ainsi va la loi qui permet pareille aventure judiciaire. J’en rappelle brièvement les termes. « Le fait, dit le texte de participer sciemment à un groupement, même formé de façon temporaire, en vue de la participation… à des violences volontaires contre les personnes ou de destruction ou dégradation de biens est passible d’un an de prison ferme et de 15 000 € d’amende ». Les jeunes Malik et Souhail ont donc été condamnés sur la base d’une dangerosité présumée, le premier ayant pourtant toujours déclaré qu’il se rendait à La Défense en « spectateur » et le second qu’il n’avait strictement rein à voir avec cette affaire. Qu’à cela ne tienne, le « délit d’intention », introduit par la loi Estrosi, a suffi à les conduire devant la justice et à les faire condamner. Cependant, à une peine si modeste que l’on peut se demander si les magistrats n’ont pas été gênés dans l’application du nouveau texte. Car, de deux choses l’une, ou bien ces garçons étaient coupables et leurs peines de prison et d’amende eussent dû être plus sévères, ou bien ils ne l’étaient pas et une relaxe s’imposait.

Cette loi « anti-bandes », qui n’est pas sans rappeler la loi « anti-casseurs » des années 1970, est une loi très inquiétante, en ce qu’elle met directement en cause des principes fondamentaux de notre République et porte gravement atteinte à nos libertés individuelles et collectives. Le fait pour des jeunes de se rassembler devient désormais, légalement, suspect. C’est une atteinte au droit de réunion. Le fait d’appartenir à une bande (très volatile, on le sait) tout autant. C’est une atteinte au droit d’association.

Avec ce texte déroutant, nous sommes en réalité en pleine confusion entre bande et gang. La loi, en effet, ne vise-t-elle pas le gang, l’association de malfaiteurs, mais une association non-structurée, ponctuelle ? Ne condamne-t-elle pas d’abord la suspicion de violence ? A l’évidence, tout ceci est une remise en cause gravissime de notre droit pénal qui, traditionnellement, veut que, pour qu’une infraction soit constituée l’intention soit suivie d’effet (une action). Désormais il n’est pas nécessaire d’avoir fait quelque chose de mal pour être condamnable il suffit du soupçon d’avoir voulu le faire. Quel magistral retour aux pratiques judiciaires de la Terreur où la simple suspicion vous envoyait à l’échafaud ?

Oui, la loi du 2 mars est une mauvaise loi, une loi liberticide : on eut dit, en d’autres temps, scélérate.

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