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De Pôle Emploi à France Travail, Macron marchandise l’insertion.

Lors de l’annonce de son programme devant une assemblée de journalistes, jeudi 17 mars 2022, le candidat Emmanuel Macron a annoncé la transformation de Pôle Emploi en France Travail. Les mots ont un sens et cette nouvelle appellation n’est certes pas un hasard.

France devient comme une marque déposée, une enseigne : nous la trouvons déjà dans France Compétences (« autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage »), France Services (« 2 055 guichets uniques de proximité regroupant sur leurs sites plusieurs administrations »). La France ? Oui, mais laquelle ? Celle de Macron, de Pécresse, de Zemmour, de mon boulanger venu du Portugal ou de ce jeune afghan venu l’autre jour me rencontrer dans un cadre professionnel, ce n’est pas la même. Le récit, le roman national s’écrivent bien différemment selon les uns et les autres.

Le travail, ce n’est pas l’emploi. Si, en sciences économiques et sociales, ce dernier peut être défini comme un poste occupé pour exercer une activité professionnelle rémunérée, le travail, quant à lui, est une activité rémunérée en vue de produire un bien ou un service. L’emploi correspond à un projet professionnel, lié à une appétence, un désir, une transmission de valeurs, des études, une formation, il correspond aussi à une fiche de poste, à des compétences acquises ou qui restent à acquérir. Le travail, en poussant volontairement le bouchon un peu loin, c’est une tâche qui n’a qu’une seule visée : la rentabilité. Ne sois pas employé, mais bosse, pour produire et (faire) gagner de l’argent. Travailler plus pour gagner plus ? Tu parles… La valeur travail peut enfin rappeler de sombres périodes de notre Histoire, quand elle était associée à la famille et à la patrie.

D’un Pôle censé faciliter l’accès à l’emploi en mettant en relation les demandeurs et les entreprises, nous passons à un « machin » centré sur le travail en vue de produire. En effet, la réforme vise à « mettre en commun tous les savoir-faire et les compétences, celle de Pôle emploi, celle de nos régions, de nos départements, des communes, des missions locales », autrement dit : les bilans de compétence, les formations, l’accès ou le retour au travail, l’insertion professionnelle. Il s’agit donc de créer un énième guichet unique. En soi, le décloisonnement des institutions et des services n’est que pertinent, si l’objectif est d’en faciliter l’accès pour tous les citoyens. La création de France Services cache, hélas, le regroupement (et donc la fermeture) de centres des impôts, de la CAF ou de la CPAM. J’en connais un exemple très concret en Ardèche dans une petite ville…

Pôle Emploi et les missions locales travaillent ensemble depuis des années, leur rapprochement s’est même accéléré en créant des outils communs d’inscription en formation et de suivi pour les jeunes, faisant gagner du temps et de l’énergie à tous. Pôle Emploi est né de la fusion par Nicolas Sarkozy, en 2008, de l’ANPE et des ASSEDIC. On se souvient du démarrage très difficile de cette réforme, tant pour les salariés que pour les usagers. En créant France Travail, cette entité de regroupement de services, c’est la consternation du côté des salariés car, une fois encore, il n’y a eu aucune concertation avec les principaux acteurs, ce qui entraînera nécessairement des conséquences pour les demandeurs d’emploi.

Pôle Emploi est un Etablissement public à caractère administratif (EPA), présent sous cette même entité sur tout le territoire français. Les missions locales, quant à elles et comme leur nom l’indique, sont territorialisées, la plupart du temps constituées en associations loi 1901 ou en Groupements d’intérêt public (GIP). Comment réunir, en une seule entité, autant de structures différentes par leur statut, leur présence territoriale, leur adaptation permanente aux réalités concrètes en matière de bassins d’emploi, d’accès aux transports ? Dans leur ADN, les missions locales accompagnent les jeunes vers l’accès à l’autonomie, à la citoyenneté, au logement, à la santé. Que deviendront ces spécificités ?

Enfin, les syndicats s’interrogent déjà sur la préservation des emplois dans les deux entités : combien seront maintenus ou supprimés ? Combien de départs à la retraite non remplacés ? Sur quel référentiel commun de métiers ? Quelle convention collective alors que le gouvernement est en train de réunir les secteurs sanitaire et social sous un même texte, au détriment des métiers les moins valorisés ? Quand s’arrêtera cette casse systématique et non concertée, donc à l’opposé des besoins du terrain ?

Récemment, nous avons vu les excès et les dangers de la privatisation et de la marchandisation forcée de l’accompagnement de nos aînés. En instaurant depuis 2018 des indicateurs de performance dans le financement de l’insertion sociale, il y aura nécessairement une mise en concurrence des uns et des autres au détriment des usagers. De même qu’on a réduit la taille des assiettes dans les EHPAD pour que les résidents mangent moins, on réduira peut-être le temps des entretiens d’accompagnement des demandeurs d’emploi ou la taille des feuilles sur lesquelles seront imprimées leur CV.

Nicolas Céléguègne, Délégué national du MdP à l’emploi et à la formation professionnelle

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