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Ivan Renar dans Nord Eclair : « C’est le parti communiste qui m’a quitté ! »

irenar20132 «La faiblesse du PS est de ne pas prendre en compte la totalité de la dimension sociale, des inégalités».

Du communisme français, il a presque tout connu. À 73 ans, le sénateur Ivan Renar a définitivement rompu les amarres avec la direction actuelle du parti communiste. Il a rejoint le mouvement lancé par Robert Hue qui prétend, comme d’autres, rassembler la gauche. Dans cette interview, il revient sur ce qu’il qualifie d’« aveuglement » de la direction du PC, concède un bon bilan au président sortant de la Région et évoque sa passion pour les arts et lettres.

PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN LEROY ET FLORENCE TRAULLÉ.

D’où venez-vous Ivan Renar ?
Je suis né à Roubaix, de grands-parents maternels polonais, arrivés en France en 1920. Avant 14, la Pologne n’existait pas en tant que telle. Mon grand-père avait été déporté en Sibérie. C’est là qu’il est devenu communiste. Ma mère, fille de salle à la Fraternité à Roubaix, était plutôt tendance anar. Mon père, représentant de commerce en machines à laver et cycles.

On parlait beaucoup politique dans votre famille ?

Comme dans beaucoup de familles ouvrières, on en parlait sans en parler vraiment. Dans un quotidien difficile, les sujets de conversation, c’était les difficultés du quotidien, les salaires, les accidents à la mine…

Comment vous-même, allez-vous vous engager au parti communiste ?

En 1954, quand la guerre débute en Algérie. Quelques mois après la fin de la guerre d’Indochine, ça recommençait ! Une nouvelle guerre coloniale. Le PC était le parti qui avait le discours le plus clair sur l’Algérie. Son mot d’ordre a toujours été : « Paix en Algérie ! » En 1958, il y a le coup d’État à Alger, le retour de De Gaulle aux affaires. Je me souviens avoir craint l’interdiction du PCF et l’instauration d’un régime autoritaire en France.

Vous êtes un jeune adhérent au PC quand la révolte de Budapest, en 1956, est réprimée dans le sang. Comment le vivez-vous ?

Je partageais l’opinion du parti communiste. Je me disais que la révolte des Hongrois était une contre-révolution. J’en étais convaincu…

Il n’y a pas eu, à ce moment-là, de réel débat dans le parti entre vous ?

Pas vraiment non. On était encore dans l’après-guerre. Le parti vivait sur son capital de parti de la résistance. On était alors sur une ligne de croyance indéfectible en l’Union soviétique.

Qui, pour vous, va durer jusqu’à quand ?

Jusqu’après le 20e congrès du parti communiste soviétique. La délégation française revient et il y a un grand meeting à Paris, au Vel d’hiv. Ils ont fait applaudir Staline ! Krouchtchev avait présenté son rapport à huis clos à Moscou et le journal Le Monde l’avait publié mais, pendant longtemps, le PC parlera du « rapport attribué au camarade Krouchtchev ». Avec le recul, je pense que c’est là que je commence à réfléchir…

Vous avez connu l’époque de gloire du communisme dans la région. Qu’en reste-t-il et comment l’avez-vous vu s’effilocher ?

Tout le problème du parti communiste, c’est son rapport à la réalité. À la réalité du système soviétique. À la fin de la guerre, le PCF faisait 30 % des voix. Les militants communistes étaient proches des gens. C’était, quasiment, une contre-société. Mais il y a eu un tel refus de voir la réalité, de reconnaître que ce n’était pas ce qu’on nous en disait. La Hongrie aurait dû nous alerter…

Et puis, il y a eu 1968, avec l’écrasement du Printemps de Prague aussi ?

Comme c’était une révolte d’une partie de la jeunesse qui voulait changer le régime, que le parti communiste tchèque n’était pas à l’origine du mouvement, on était méfiants. Waldeck Rochet qui était alors le responsable du parti était allé négocier avec Brejnev qui avait pris l’engagement de ne pas intervenir militairement. 36 heures plus tard, les chars russes intervenaient… Dans un premier temps, le PCF a « condamné » l’intervention. Puis, au fur et à mesure, c’est devenu une « réprobation »…

Comment expliquez-vous que le FN ait prospéré essentiellement sur les terres anciennement communistes ?

À l’usine, les gens étaient dans un rapport de force collectif avec les patrons. Ils étaient ensemble. Avec le démantèlement du monde industriel, tout cela a disparu. Même le sentiment qu’en se battant, collectivement, on pouvait faire changer les choses. Du coup, n’est restée qu’une sourde colère…

Le PC porte-t-il aussi une responsabilité là-dedans ?

La direction oui, pas les militants qui n’ont pas failli. Nous avons eu des directions aveugles.

Vous avez quitté le PC ou c’est lui qui vous a quitté ?

Je pense que c’est lui qui m’a quitté. En 1981, au moment des événements de Pologne, Nord éclair m’a demandé ma réaction, sans doute parce que je suis d’origine polonaise. J’ai répondu : « J’ai mal à la Pologne ». Ça n’a pas beaucoup plu…

La rupture est venue plus tard. En 2004, les communistes se sont fait élire à la Région, sur une liste commune avec les socialistes. Et au lendemain du deuxième tour, on m’annonce : « On change de stratégie. On refuse d’être dans l’exécutif ». Pour moi, c’était faire la politique de la terre brûlée. J’ai répondu : « Je n’en suis pas ».

Vous avez rejoint le mouvement de Robert Hue qui dit vouloir, lui aussi, rassembler la gauche ? Beaucoup de monde sur ce créneau non ?

C’est un peu un chemin de croix mais raison de plus pour s’y tenir non ? Aujourd’hui, les gens sont déboussolés. Il n’y a jamais eu autant de mécontentement et aussi peu de combativité. La gauche est nue et nulle. C’est la politique politicienne qui l’emporte, pas l’intérêt des gens.

Cela dit, je rencontre plein de gens prêts à se battre. La vraie question est celle du bonheur quand même… w

Est-ce que vous avez le sentiment que les dés sont jetés pour les prochaines régionales ?
Ce sera une sacrée bataille politique et les dés sont loin d’être jetés. Aux municipales et aux européennes, l’abstention a été énorme. Les gens témoignent ainsi de leur désintérêt. C’est la traduction de leur mécontentement. Ils ont le sentiment que ce qui leur arrive, c’est comme la marée ou comme l’orage : ils n’y peuvent rien. Quand il y a tant d’abstention, les résultats peuvent devenir incertains. On est dans une réalité très mouvante. Dans le Nord – Pas-de-Calais, le Front national se refait une santé. La situation serait plus claire si, en face, il y avait un rassemblement de la gauche. Avant, le mot d’ordre était : « Au premier tour, on se compte, et au deuxième, on se rassemble ». S’il n’y a pas d’élan significatif au premier tour, ça devient difficile.

La candidature de Valérie Létard ?
Elle va devoir assumer la politique du gouvernement. Et, en même temps, quand elle était présidente du groupe UDF à la Région, elle a permis de faire passer le budget du conseil régional en ne le bloquant pas avec un vote négatif…

Pensez-vous que les écologistes peuvent rééditer leur bon résultat des européennes ?
C’est possible. Ils feront, en tout cas, certainement mieux que leur score de 2004. Ils ont fait un bon travail pour élargir leur liste. Cela dit, est-ce qu’il y a un vrai mouvement de fond ? Ce qui a fait le succès d’Europe Écologie aux européennes, c’est aussi la personnalité et le talent de Daniel Cohn-Bendit. Il n’y a pas un Cohn-Bendit partout, dans toutes les régions. Jean-François Caron, la tête de liste régionale, est un homme estimable, qui fait un véritable effort pour ne pas faire de la politique politicienne. Les écologistes affichent leur optimisme mais je pense qu’ils devraient être prudents.

Le Front de Gauche qui regroupe le PCF, le Parti de Gauche, des Alternatifs ?
C’est un faux front… Ça fait un peu rassemblement de chapelle. Le parti communiste a été une vraie cathédrale. Il est devenu une église, puis une chapelle. Demain, une crypte ? Vous croyez à une possibilité que le PC se maintienne au second tour ?
Il menace de le faire s’il fait plus de 10 %. Je n’y crois pas. Le PC n’est plus ce qu’il était. À la gauche de la gauche, il représentait une volonté de changer le monde. Avec le Mouvement unitaire de Robert Hue que j’ai rejoint, nous pensons qu’il y a urgence à rassembler la gauche.

Daniel Percheron, le président (socialiste sortant) de la Région a-t-il, pour vous, un bon bilan ?
Oui. Je crois qu’il a été un grand président de Région. Il devrait se faire connaître davantage, être plus présent dans les médias. Sur quelles politiques doit-il modifier ses axes d’action ?
La faiblesse du PS est de ne pas prendre en compte la totalité de la dimension sociale, des inégalités. Il faut agir davantage pour la jeunesse. Comment fait-on pour que ça ne soit pas le Secours populaire qui organise des distributions de vivre sur un campus universitaire comme il le fait à Lille 1 ? Que fait-on véritablement pour le logement des jeunes ? La santé des jeunes ? w

On vous décrit comme un homme de culture, ça vous flatte ?
Ça ne me flatte pas mais je pense profondément que la culture est constitutive de la personnalité et de la citoyenneté. Une société moderne doit tout faire pour que la culture soit au centre de la cité. Je suis dans cette bataille depuis très longtemps. Une des plus grandes inégalités sociales c’est l’accès à la culture. Quand on vit dans un monde où il y a des livres, quand on voyage, quand on rencontre d’autres gens ; forcément, ça enrichit intellectuellement. Ça développe l’esprit critique, au meilleur sens du terme. Ça permet d’assumer son destin au lieu de le subir. L’école républicaine, ce n’est pas que pour apprendre à lire, écrire et compter. L’école publique comme la télévision publique sont, aujourd’hui, en déshérence et c’est dramatique. La chaîne Arte, c’est très bien mais c’est de la culture pour gens cultivés. On voit bien comment les enseignements artistiques, à l’école, sont les parents pauvres. Ça n’a pas de prix, mais ça a un coût. Je suis pour des investissements résolus dans ces domaines. Je suis même inflationniste ! Vous êtes président de l’Orchestre national de Lille.

Pensez-vous qu’il est à la hauteur de sa réputation pour sortir la musique classique de son cercle encore un peu ghetto ?
Je le pense, oui. Il faut être « élitiste » pour tous, pour apporter le meilleur à tous. Je suis d’ailleurs pour le développement de toutes les musiques. Il n’y a pas de petite et de grande musique. Éventuellement de la bonne et de la mauvaise musique. Il faut porter la musique partout où c’est possible. L’Orchestre de Lille est vécu, de ce point de vue, comme un modèle… même si je me méfie de la théorie des modèles. J’ai donné… Quand je vois ce qu’a fait l’Orchestre dans son partenariat avec l’école Michelet de Roubaix, par exemple, je me dis que même si, vu leur ampleur, de tels chantiers ne sont pas aboutis, cela a permis de sortir cette école de son marasme scolaire. Ce fut une très belle expérience. Quand je vois le violoniste Stefan Stalanovski se mettre à danser avec son violon pour expliquer le rythme, je trouve cela extra. Et je pense que dans une région de 4 millions d’habitants, il faudrait un 2e, un 3e orchestre !

Quand on dit que les jeunes sont incultes, ça vous agace ?
Ah oui ! Ils ne sont pas incultes, ils ont une forme de culture différente de la mienne, une vraie ouverture sur le monde. Être anti-jeunes est stupide. Quand j’étais jeune, j’ai fait et dit beaucoup de conneries mais si on ne se trompait pas, on ne ferait aucun progrès.

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