Ivan Renar à la Rencontre nationale des Progressistes : l’enjeu de la culture pour tous est l’enjeu de la démocratie tout court.

Chers Amis, Mon Cher Robert,

En ce début de siècle tourmenté, où « personne ne sait plus parler à la foule » et quel but lui donner et que lui dire demain » comme le disait Louis ARAGON, dans ces moments où « l’effondrement de la raison engendre des monstres » pour reprendre la formule de l’écrivain catholique Georges BERNANOS, la culture n’est pas accessoire, quelque chose dont on pourrait se passer, mais un véritable enjeu de civilisation et la condition même de notre civilisation.

Elle constitue un formidable et indispensable barrage contre l’obscurantisme, les intégrismes mais aussi la « déliaison » du lien social et son cortège d’exclusions, de souffrances, de solitudes, de violences.

Accorder une place centrale, à l’Art et à la Culture, c’est donc accorder une place centrale à l’être humain, à ses potentialités, à l’intelligence  agissante.

Dans un monde où l’on assiste à l’offensive de « l’argent absolu » comme on disait monarchie absolue, l’enjeu de la Culture, de la création artistique, comme des enseignements artistiques, c’est bien d’éclairer la richesse des hommes et des femmes. L’Homme, notre patrimoine le plus précieux !

Le non partage de l’Art, c’est comme une bombe à fragmentation, ça fait des mutilations terribles.

Roger PLANCHON disait déjà que « les ouvriers ne vont dans les théâtres que pour les construire ». Il ne proposait pas pour autant de fermer les théâtres ! Mais il posait là il y a plus de 40 ans, le grand problème de la ségrégation sociale dans le domaine de la Culture. La plaie reste ouverte.

C’est pourquoi la place de l’Art dans la lutte contre l’exclusion, toutes les exclusions, est à plus d’un titre essentielle,  parce que l’Art est le terrain de tous les possibles et de toutes les différences.

Chaque homme, chaque femme, chaque enfant doit avoir une piste d’envol. C’est à l’épreuve du feu qu’on se brûle, c’est à l’épreuve de l’art qu’on en suscite le désir.

Il n’y a pas de citoyenneté sans accès aux savoirs, sans partage des connaissances, sans émergence des capacités à créer du symbolique !

Et c’est parce que la Culture est aussi nécessaire à l’Homme que le travail, la nourriture, le logement, la santé, qu’elle est une dimension capitale non seulement de l’intervention publique mais aussi privée.

Et l’enjeu de la Culture pour tous est l’enjeu de la démocratie tout court.

Comme le formule si bien le philosophe Edgar MORIN : « la Culture, c’est ce qui relie les savoirs et les féconde » ; Je rajouterai qu’elle est indispensable pour comprendre le monde, mais aussi développer l’esprit critique et forger son libre arbitre. La citoyenneté quoi !

On nous dit souvent : tout cela coûte cher. Certains comptables supérieurs, arrogants et glacés nous parlent toujours du coût de la Culture en la traitant d’ailleurs d’un seul point de vue financier, mais se gardent bien de se poser la question du coût de l’absence de culture.

Nous savions déjà que l’argent qui circule dans nos destinées, mettait la main dans nos rêves comme dans nos poches et nous sacrifiait en nous flattant. C’est ainsi que certains proclament leur amour pour la Culture, les Arts et les artistes et leur coupent les vivres.

Cela me rappelle Jacques PREVERT, dont vous connaissez l’insolence et l’impertinence, valeurs de la  démocratie par ailleurs, raconte l’histoire de cet homme qui vient d’offrir un superbe bouquet de roses à la femme aimée et qui la regarde avec un peu d’inquiétude, apprêter et disposer les fleurs dans le vase : « Tu dis que tu aimes les fleurs et tu leur coupes la queue, alors quand tu dis que tu m’aimes, j’ai un peu peur ! »

Nous ne sommes plus à l’époque de la « cassette des menus plaisirs », comme disait Jean VILAR. La Culture est une décision d’investissement humain sur le long terme parce que, en culture, c’est la longue présence qui est essentielle, comme le temps humain. Et pour les impatients, on ne rappellera jamais assez que le temps de l’art, c’est la longue durée et que dans les Renaissances, les artistes, les créateurs jouent un rôle fondamental.

Unir dans un même souci le culturel, l’économique, le social, n’est-ce pas là une façon de prendre l’Homme dans toute sa dimension ? On nous pose parfois la question, n’est-ce pas trop ambitieux ?

Mais pourquoi nos concitoyens par exemple n’auraient-ils pas droit au meilleur de ce qu’est capable de créer l’homme : dans le domaine des arts comme dans celui des sciences et de la recherche.

« Soyons élitaires pour tous » pour reprendre la belle expression d’Antoine VITEZ.

Cela étant, la Culture et les Arts se portent bien à condition qu’on les sauve.

« La Culture n’est pas un supplément d’âme ou une décoration que l’on porte à la boutonnière ». Comme le disait le grand peintre Edgar DEGAS il y a plus d’un siècle, « la Culture n’est pas un luxe, elle est de première nécessité » !

Un siècle plus tard, reconnaître le rôle irremplaçable de la Culture, de la création dans la société reste un combat. L’utilité sociale, la fonction sociale de l’art, des artistes : voilà ce qui cogne à la vitre de notre pays.

On nous dit quelquefois : c’est bien beau vos intentions, mais ne trouvez-vous pas que votre attachement à la création, à la culture est élitiste ? Et enfin : est-ce bien utile ? Au moment où il y a tant de problèmes et en particulier tant de misère Ces « terrifiants pépins de la réalité » dont parlait le Jacques PREVERT de notre enfance. Eh bien je réponds : OUI ! Pas un OUI de courtoisie, un OUI combatif, un OUI assuré de lui !

Si j’avais un message à délivrer aujourd’hui, ce serait : « N’ayons pas peur de la création, du neuf, de l’invention, de l’imagination. Attention à la rouille historique : les artistes travaillent avec des mains d’avenir ! »

Nous avons besoin d’invention : « j’invente donc je suis » a écrit le poète. Comment vivre avec son temps sans penser au futur et sans pour autant insulter le passé !

Etre un héritier au sens fort du terme, n’est-ce pas préserver et faire fructifier l’acquis en faisant pour cela hardiment appel à la novation ? N’est-ce pas en quelque sorte se souvenir de l’avenir ? D’ailleurs quel pourrait être le patrimoine de demain sans la création d’aujourd’hui ?

Quel que soit leur siècle, ceux qui créent, inventent et découvrent, et par là nous interpellent, appartiennent à l’espèce des dérangeurs, des semeurs de désordre (au sens thermodynamique du terme). Je vous rassure. L’intelligence est la première ressource de notre planète qui l’oublie trop souvent.

Et heureusement qu’ils sont là les artistes, dans leur diversité. Ils nous aident à vivre, à aimer, à ne pas mépriser les rêves. Ils nous rappellent que le bonheur reste une idée neuve. Il y a chez eux toute la palpitation du monde : d’un monde difficile, dur, injuste, ou heureusement, il y a toujours quelque part, quelqu’un qui chante dans la nuit.

Enfin, ils aident les hommes à se dépasser, à poser la  seule question qui vaille : dans quel monde voulons-nous vivre demain ?

« Ouvrons des lieux de Culture, nous délivrerons des ghettos ! », nous rappelait déjà le grand Victor HUGO, il y a plus d’un siècle.

Relisons dans « l’Année terrible », une de ses œuvres majeures, un extrait de, « A qui la faute ? ». Le vieil homme s’adresse au gamin :

« Tu viens d’incendier la bibliothèque ?

– Oui, J’ai mis le feu là,

– Mais c’est un crime inouï ! Crime commis par toi contre toi-même, infâme ! (…).

– Le livre est ta richesse à toi ! C’est le savoir, le droit, la vérité, la vertu, le devoir, le progrès, la raison dissipant tout délire. Et tu détruis cela, toi !

– Je ne sais pas lire. »

Alors, alors comme dit le proverbe chinois : « Plutôt que de fulminer contre les ténèbres, il vaut mieux allumer une petite lumière ». Et j’ajouterai : surtout si cette lumière, c’est celle de la Culture, donc celle de la liberté. Car la culture nous rappelle en permanence que nous faisons partie d’une communauté qui s’appelle l’humanité.

C’est une question éminemment politique au meilleur sens du terme : la politique qui fait qu’on assume son destin au lieu de le subir.

Mais il y a urgence, car, pour reprendre le poète : « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard »

En attendant, merci à vous de m’avoir permis de faire entendre le murmure culturel dans le vacarme marchand.

Intervention d’Ivan RENAR, délégué national du MUP à la culture, sénateur honoraire, lors de la rencontre nationale des progressistes – samedi 1er février – sénat

je61

Photo © Jérôme EMERIAU – www.jemeriau.com

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