Fireworks ignite over the Maracana stadium in Rio de Janeiro on August 5, 2016, during the opening ceremony of the Rio 2016 Olympic Games. / AFP PHOTO / Martin BERNETTI

JO 2016 : dopage, cynisme, marchandisation… Le sport mondial est au bord de l’asphyxie

LE PLUS. Du 5 au 21 août, près de 10.500 athlètes sont réunis à Rio de Janeiro, au Brésil, pour disputer les Jeux olympiques 2016. Soupçons de dopage en Russie, emprises commerciales des multinationales de plus en plus fortes… Docteur à l’EHESS, auteur de « Les jeux olympiques, cette chevalerie moderne », Sébastien Nadot livre une lecture critique de cet événement.

Fireworks ignite over the Maracana stadium in Rio de Janeiro on August 5, 2016, during the opening ceremony of the Rio 2016 Olympic Games. / AFP PHOTO / Martin BERNETTI
Fireworks ignite over the Maracana stadium in Rio de Janeiro on August 5, 2016, during the opening ceremony of the Rio 2016 Olympic Games. / AFP PHOTO / Martin BERNETTI

À l’occasion des Jeux olympiques de Rio, la crise éthique du sport s’impose comme une évidence. Dopage, cynisme politique, commerce outrageux sur fond de valeurs humanistes universelles : le sport, du moins celui dont on parle et qu’on voudrait encore aimer, est en piteux état. Dix réfugiés participant aux Jeux sous la bannière d’athlètes indépendants suffisent-ils à garantir que la grande compétition mondiale a encore une âme ?

Le sport actuel balance entre deux visions opposées, tantôt magnifié pour les valeurs qu’il véhicule dans un discours souvent naïf, tantôt décrié pour ses excès. Pour mieux en comprendre ses crises et congestions, on peut interroger son passé. Mais, c’est davantage en observant le modèle de société dans lequel il se déploie aujourd’hui qu’on trouve les explications à ses travers.

Le sport n’a pas toujours eu pour seul centre l’Occident

La plupart des historiens attribuent au sport une date de naissance autour de la fin du XVIIIe siècle. Elle correspondrait à l’émergence et à la diffusion des normes de la Révolution industrielle jusque dans les loisirs corporels. Toutefois, les Jeux olympiques – fleuron essentiel du sport contemporain – échappent à cette histoire raccourcie. Pierre de Coubertin et ses épigones parlent de rénovation des Jeux olympiques, en référence à ceux de l’Antiquité.

Il existe aussi toutes ces courses à cheval dans les hippodromes d’Égypte au VIe siècle, la pratique du Polo en Chine aux VIIe et VIIIe siècles ou à Cordoue au IXe siècle, les courses de char à Constantinople au Xe siècle, les compétitions de lutte au XIIe siècle en Bretagne, les célèbres joutes médiévales du XIIIe au XVIe siècle et bien d’autres activités sportives encore.

Pourquoi ce rappel ? Pour insister sur la diversité et le long passé du sport contemporain, qui n’a pas toujours eu pour seul centre le monde occidental, ni pour unique devise citius, altius, fortius

Les constantes historiques des pratiques sportives se repèrent dans la mise en jeu du corps, la dimension ludique, le plus souvent compétitive, parfois à destination spectaculaire. Le sport organise des confrontations normées par des règles communes : c’est le propre des rapports sociaux évolués. Les conditions de l’affrontement sont identiques pour tous les compétiteurs : la justice prévaut. Le mérite aussi puisqu’on peut prouver sa valeur ou sa supériorité par l’effort cultivé.

Il est une métaphore de l’espace social

Par l’émulation et la possible promotion méritocratique, la compétition encourage les vertus de ténacité, d’effort, de progrès et de courage. Le sport sélectionne de manière juste, pour offrir, selon le sociologue Alain Ehrenberg, une « fiction réaliste » dénouant la contradiction entre égalité des chances et distinction sociale.

Les valeurs apprises dans l’enceinte sportive peuvent aider l’individu à tracer sa voie et à composer avec celle des autres. On y aperçoit ainsi une métaphore de l’espace social. Un code guide les confrontations : code d’honneur, fair play ou code social. Ces compétitions reposent sur l’échange et le partage de valeurs, la fraternité dans le rapprochement à ses semblables, la solidarité par l’action reconnue des autres, différents, perdants ou vainqueurs.

L’histoire montre aussi que le sport a besoin d’équilibre, celui qui permet d’articuler dans un même élan et un même moment compétition et solidarité, individuel et collectif. Phénomène politique, le sport n’a en effet de sens qu’à la mesure du vivre ensemble. La question du vivre ensemble ne peut être ignorée de la sphère politique.

Dans son récent rapport d’information parlementaire, intitulé « la diplomatie sportive de la France et son impact économique », Valérie Fourneyron, ancienne ministre des Sports explique :

« Le sport est un révélateur de la marche du monde, qui permet aux États de se mettre en scène. Il fait depuis longtemps – et fait encore – l’objet d’une forte exploitation au service de doctrines d’État. »

Politique et diplomatie ont intégré le phénomène sportif

Le sport n’ignore pas la politique : JO de Berlin en 1936, utilisés par le régime nazi, « diplomatie des muscles » de Vladimir Poutine et ses Jeux de Sotchi en 2014 pour illustrer le réveil de la Grande Russie, tentatives des États-Unis de faire le ménage dans les instances corrompues du sport mondial pour se poser en justicier de la planète, stratégie nationale du Qatar pour exister sur la carte du monde…

Qu’on le déplore ou pas, la politique et la diplomatie ont massivement intégré le phénomène sportif dans ses développements. On pourrait s’en réjouir. Le sport apaise les tensions internationales si l’on en croit l’athénien Thucydide, qui décrivait les Jeux olympiques de 428 avant J.-C. comme « un temps de contacts diplomatiques pendant cette trêve sacrée ».

Malheureusement, cette assertion n’est en rien démontrée. Pas sûr, par exemple, que l’éviction plus ou moins totale de la Russie des JO de Rio n’apporte le calme dans la tempête diplomatique mondiale. Et la paix d’accord… si elle ne contrarie pas trop les multinationales !

La grande compétition planétaire, qui concerne les individus comme les territoires et les États entre eux, cette mondialisation actuelle, n’a pas épargné le sport. Elle lui va même comme un gant. La question se pose donc de savoir comment le pouvoir politique peut appréhender ce phénomène.

Le sport mondial est au bord de l’asphyxie

Les Jeux olympiques de Barcelone en 1992 ont marqué le tournant du sport tout commercial. Les incontestables exploits du basketteur Michael Jordan et sa Dream team ont mis en évidence le pouvoir marchand et médiatique du sport. Depuis, on peut repérer dans le système sportif plusieurs acteurs majeurs : les sportifs, les spectateurs consommateurs, les citoyens, les politiques, les instances internationales du sport, les agents économiques et commerciaux.

Actuellement, le système est fondé sur la dépendance et la passivité des individus. Que penser de celui qui achète des livres pour les ranger dans sa bibliothèque sans les lire ? C’est ce que font bon nombre de spectateurs, consommateurs impatients mais apathiques du spectacle sportif.

Trop éblouis par le clientélisme sportif, les politiques croient voir dans chaque nouvel événement un (soin) palliatif à leur déficit d’image et de perspectives. Que de vues à court terme ! Les agents économiques et commerciaux réclament incessamment des gains de productivité à la poule aux œufs d’or. Attention à ne pas tuer l’animal…

Les instances internationales du sport ont également fait de citius altius fortius la devise de leurs comptes bancaires. Derrière le lustre d’un spectacle bien monté aux acteurs impeccables, le sport mondial est au bord de l’asphyxie.

Le sport doit retrouver son espace de liberté et de fête

La devise des JO fait écho aux seules vertus compétitives tandis que l’humanisme universel ne semble plus qu’un habillage destiné à masquer l’individualisme outrancier de la plus grande compétition planétaire. Le citoyen doit revenir aux sources du sport, dont l’intérêt principal est d’abord dans sa pratique. Sa nouvelle devise sportive devrait être : « 1 heure à regarder, 1 heure à pratiquer ».

L’athlète de haut niveau doit aussi participer à ressourcer le sport : par l’éthique. Mens sana in corpore sano : la triche par le dopage (individuel ou étatique) a été bien trop banalisée. Le dopage irrigue le sport. Mais le dopé n’est pas un sportif. C’est un article de sport. Un produit d’indignité qui affaiblit le système déjà malade. Le projet olympique n’était pas seulement adossé à la performance, mais aussi aux valeurs humanistes. Les athlètes ne peuvent l’oublier.

Le politique, tenté par le chant des sirènes d’un sport business diplomatique, doit revoir son rapport au sport. La santé (physique, mentale et sociale), les valeurs collectives et l’exemplarité individuelle : voilà le chemin du sport qui mène au bien commun. Et, si le sport a pris une telle dimension politique et internationale, ce sont des instances politiques et internationales reconnues qui doivent en assurer la régulation. CIO discrédité, il ne peut rester que l’ONU.

Sans renier la compétition olympique qui contient sa dimension ludique et recèle bien des richesses, le sport doit retrouver son espace de liberté et de fête, là où il est plaisir du corps, bien-être et vivre ensemble, dans la coopération comme dans la confrontation. François Hollande à Rio pour défendre les Jeux à Paris en 2024 ? Pourquoi pas. Mais avec quel projet ?

Article paru dans Leplus du Nouvel Obs, le 10 août 2016

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