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Le sens d’un succès

indignez-vous-stephane-hesselIl est un événement qui secoue la sphère éditoriale en ce début d’année, c’est le triomphe en librairie de Stéphane Hessel et de son dernier ouvrage, Indignez-vous !i Publiée par une maison d’édition indépendante, et n’ayant donc pas bénéficié des rouleaux compresseurs médiatiques d’un Houellebecq qu’il devance pourtant au classement de Livres Hebdo, la brochure vient de franchir la barre des 600 000 exemplaires vendus, alors que son tirage initial n’était que de 8 000 unités ! 

L’auteur, très attaché aux institutions de la « démocratie moderne », y rappelle leur origine : « l’ensemble des principes et valeurs » portés par le Programme du Conseil national de la Résistance, soit le droit à une vie digne, y compris dans la maladie ou la pauvreté (avec la création de la Sécurité sociale et l’instauration de la retraite par répartition), le contrôle public de l’économie, et l’indépendance de la presse (voir à ce propos l’excellente analyse de Bernard Servozii). Ces piliers subissant une attaque en règle depuis 10 ans, l’ancien résistant exhorte ses contemporains à s’engager contre leur destruction.

On sait bien que leur lente érosion a débuté bien avant, ne serait-ce qu’avec la permission accordée au patronat de créer des trusts ou avec l’autorisation de la publicité télévisée en 1968, qui ont activement préparé le retour des « féodalités financières [à] la direction de l’économie ». Si Stéphane Hessel lance aujourd’hui cet appel, c’est parce qu’il voit le nouveau monde qu’il avait contribué à créer manquer à ses principes les plus élémentaires. Lui, le corédacteur de la Déclaration universelle des Droits de l’homme ne peut tolérer de la voir foulée aux pieds quotidiennement, en Irak, dans les campements de Roms ou les squats de sans-papiers en France, par des États signataires. C’est pourquoi il exhorte chacun à agir, rappelant le « message libertaire » de Sartre : « Vous êtes responsables en tant qu’individus. »

Aujourd’hui, les motifs d’indignation, le moteur de son propre engagement contre le nazisme, ne manquent pas. Il balaye ainsi d’un simple revers de main le pseudo-« problème » du coût des acquis sociaux de la Libération en renvoyant le prétexte des caisses vides de l’État à toute son absurdité : « comment peut-il manquer de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes alors que la production de richesses a considérablement augmenté » depuis lors ? Stéphane Hessel appelle en fait à refuser la soumission au pouvoir de l’argent, qui n’a malheureusement « jamais été aussi grand ».

Quel sens politique peut-on discerner dans ce succès d’édition ? Sa parution ayant quasiment coïncidé avec la fin de la mobilisation contre le démantèlement du système de retraite par répartition, on ne peut d’emblée qu’y voir un prolongement de la rébellion contre l’arrogance de l’argent et les inégalités grandissantes, dont le mouvement a été porteur au-delà des revendications syndicales. C’est en quelque sorte un message adressé directement à l’oligarchie, pour lui signifier que la défaite ne signifie nullement la résignation.

Le mythe de la « République qui prend un égal soin de tous ses enfants » ou celui de la « Nation unie » sont peut-être également en train de se dissiper. Le scandale Woerth-Bettencourt, et en particulier le chèque de 30 millions reçu du fisc par l’héritière de la très vichyste L’Oréal, ont permis de donner à voir la collusion des dirigeants politiques et économiques. Il est d’ailleurs un autre succès de librairie significatif à ce titre : celui des sociologues Monique et Michel Pinçon, Le Président des riches. En un mot, il devient de plus en plus visible aux yeux de tous que la bourgeoisie, qui a exercé le pouvoirpratiquement sans discontinuer depuis le milieu du XIXe siècle, ne gouverne qu’à son profit exclusif.

Les principes posés par le CNR visaient à mettre sur pied une société « équilibrée ». C’était la condition indispensable à l’élaboration d’un nouveau vivre-ensemble, après les dévastations de la guerre et la collaboration de masse. Or nos concitoyens mesurent de mieux en mieux que la pauvreté touche déjà une large part de la population ; et les classes moyennes et populaires ressentent avec angoisse leur situation, de plus en plus exposée aux multiples précarités. « Indignés », les Français le sont déjà par le saccage de leur modèle social qui, s’il n’a pas mis fin à l’existence de la classe dominante, était néanmoins vivable. Ils se sont résolument élevés contre son démantèlement, parfaitement conscients que sa sauvegarde ne freinerait en rien la « compétitivité » de la France.

Nombre de commentateurs ont ainsi interprété le récent sondage qui sacrait les Français « peuple le plus pessimiste » comme le signe de leur attachement à l’État-providence et de leur désarroi devant son abattage. Ils savent très bien que l’année à venir verra la poursuite de ce processus. Cette désapprobation se traduit dans un autre sondageiii, publié cette fois par la Fondation Gabriel Péri, qui fait apparaître que 58 % des Français se déclarent favorables à un changement complet de société. L’appel à l’insurrection pacifique de Stéphane Hessel ne peut donc trouver qu’un vaste écho, en ces temps où la moindre résistance physique contre la violence symbolique – mais aux conséquences bien plus dramatiques – du capitalisme sont systématiquement condamnésiv.

Enfin, cette deuxième enquête révèle également que 69 % n’ont « confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays ». Peut-être est-ce ce qui fait si peur aux plumitifs réactionnaires, qui tombent à bras raccourcis sur Stéphane Hessel, lui reprochant sa naïveté et son simplisme. Leur propre objectif est en tout cas, lui, d’une simplicité biblique : décrédibiliser l’ancien résistant et son appel pour étouffer toute velléité de révolte.

i Éditions Indigène, 32 pages, 3 euros.

http://www.mouvementunitaire.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=312:la-guerre-des-riches-&catid=35:contributions&Itemid=55

iv Il n’est qu’à se remémorer la fameuse interview de Xavier Mathieu par David Pujadas, où ce dernier s’employait consciencieusement à dénoncer les méthodes de l’action syndicale.

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