Le sport est-il par essence capitaliste ?

sebastiennadoPar Sébastien Nadot, Adhérent du MUP Toulouse, Professeur agrégé d’EPS, Docteur en histoire.

Coupes du monde et Jeux olympiques, hennissements de tennismen, monarchies pétrolières de la Formule 1, sempiternels championnats de ballons plus ou moins ronds, paris en ligne et matchs truqués… Jamais le sport ne semble tant avoir eu l’odeur de l’argent. Quand on l’aime, on ne peut qu’en être profondément affecté.

Probablement beaucoup plus ancien et dépassant largement les racines européennes qu’on veut lui conférer, le sport qu’on connait aujourd’hui peut se concevoir comme une habile construction destinée à servir la logique marchande et son capitalisme outrancier. Les tentatives hégémoniques d’une région de la planète sur les autres, d’une classe sociale sur la multitude, et aussi du sexe fort sur le faible pourraient expliquer l’orientation prise par le sport depuis près de deux siècles.

Il faut dire que le capitalisme a un atout essentiel : même mis à mal, il reste flamboyant par sa maîtrise des médias. Or, le sport est un beau joujou de la presse (en 1903, le journal L’Auto crée le Tour de France), de la radio et de la télévision, bien avant de trouver dans le web un nouvel allié de circonstance.

Activité de l’image, de la tragédie et de l’exploit, des demi-dieux hébétés du ballon rond et du dopage des chambres à air, le sport fait vendre. C’est bien là son malheur.

Historiens, sociologues et autres penseurs du muscle ont cru voir la naissance du sport au 19e siècle en Angleterre, au cœur de la bourgeoisie bien-pensante, celle à qui l’on doit la Révolution industrielle. Le sport et son esprit compétitif ne seraient que cette recherche de la performance du corps, du rendement optimal qui permet de prendre le dessus sur l’adversaire du jour. Rappelons que pour le baron de Coubertin, le sport devait d’abord permettre de fabriquer des élites efficaces pour combattre sur le terrain colonial, industriel et guerrier.

Pourtant, la recherche du profit et l’accumulation du capital ne sont pas constitutives du sport. Une preuve : des alternatives au sport système érigé en grand spectacle marchand existent déjà partout. Même dans un cadre compétitif, le sport peut aussi se concevoir comme une activité librement consentie, « autotélique », diraient les spécialistes, c’est-à-dire qui n’a d’autre but que l’intense satisfaction qu’elle procure.

Depuis une vingtaine d’années, coexistent dans les faits deux sports aux connexions de moins en moins évidentes. Mais, le sport financier et ses grandes compétitions sportives est désormais parvenu à s’imposer. L’emballement de la machine médiatique, rendu incontrôlable par l’adjuvant puissant qu’est internet, a mis au centre des regards un certain nombre d’activités du muscle, sans qu’il soit vraiment possible de s’y soustraire.

« Nous devons veiller à ce qu’il y ait des récompenses mais que l’argent n’envahisse pas tout » a dit François Hollande, nouvellement élu, lors d’une visite à l’INSEP. Malheureusement, l’argent a déjà littéralement envahi l’espace sportif. Le regard bienveillant du peuple de gauche dans son ensemble sur un sport dévoyé ou a minima prisonnier de la sphère financière est inquiétant.

Le sport n’est certainement pas capitaliste par essence. Mais aujourd’hui le constat s’impose. Dans cette victoire qu’on peut espérer provisoire des puissants de la carte bancaire, l’éblouissant sport business aveugle même les plus vigilants. À quand la revanche ?

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