football2

Les raisons d’un naufrage

fize Les récents incidents qui ont secoué l’équipe de France de football, et qui se sont soldés par une pitoyable élimination du tournoi, ont été abondamment, et sans doute excessivement, commentés (par des voix pas toujours « autorisées »). Diverses causes ont été avancées, que je résume brièvement  : faiblesse d’une Fédération à l’inertie remarquable et aux choix contestables, fédération incapable de contrôler les événements en question, faiblesse d’un entraîneur aux compétences contestées, y compris par ses propres joueurs, faiblesse morale (et sportive ?) de ces derniers, enfants gâtés (et égoïstes) du football français, dont certains, il est vrai, issus des quartiers populaires, avec des mœurs parfois (mal)- propres (les termes injurieux prêtés à Nicolas Anelka sont des mots ordinairement employés par beaucoup de jeunes, et, précisons-le, pas seulement de ces quartiers, des jeunes black, beurs, mais aussi blancs. Toutes ces causes sont pertinentes, mais insuffisantes à rendre compte du fiasco d’Afrique du Sud.

Nous plaçant ici côté joueurs, nous aimerions aborder cette sinistre affaire sous d’autres angles, plus négligés ou ignorés. Ce qui s’est passé avec ce que les médias, sous le coup de l’émotion, ont nommé, exagérément, la « mutinerie » des joueurs pose une première question qui est en rapport avec le fonctionnement général des groupes humains. La lecture de la Psychologie des foules de Gustave Le Bon (qui date de 1905), et qui est, dit-on, l’un des livres de chevet du désormais ex-sélectionneur national, Raymond Domenech, est à cet égard instructive. Le Bon y explique qu’un groupe a une dynamique propre, qu’il produit souvent les plus mauvais comportements (les groupes de certains « supporters » illustrent fort bien ce propos). Ajoutons qu’un groupe, quel qu’il soit, ne dissout pas les individualités qui le composent. Or, en équipe de France, ces individualités sont très diverses et hautement contrastées. Les joueurs de cette équipe sont en effet plus multiples que jamais : par leur couleur de peau, leurs origines ethniques, leur langage, leur niveau d’études, leur religion, leur culture, leur sensibilité, leurs goûts et leurs loisirs et, finalement, leurs affinités. Quoi de commun entre un Gourcuff et un Ribéry ? (un ancien joueur de 1998 faisait déjà remarquer qu’à son époque il y avait deux générations en équipe de France : la « génération belotte » et la « génération jeux-vidéos »). Face à une telle hétérogénéité, la tâche de tout sélectionneur, de tout entraîneur, aujourd’hui, est de faire tenir ensemble ces éléments disparates, ce qui suppose d’être rompu aux techniques de gestion de groupe. Un coach est désormais, avant tout, un meneur d’hommes.

La deuxième question posée par la « révolte » des joueurs de l’équipe de France est, tout simplement, celle du pouvoir. La société de 2010 n’a plus rien à voir avec celle d’il y a trente ou quarante ans. Dans tout le corps social, dans toutes les « institutions », les hiérarchies ont été bousculées, les statuts ne suffisent plus, comme par le passé, à légitimer une autorité, à fonder un pouvoir. Notre société est une société d’« individus-rois », qui, pour obéir, veulent comprendre et adhérer à ce qu’on leur demande, qui veulent, aussi, être associés aux décisions, et non se les voir imposer d’« en-haut ». Mais notre société est aussi une société d’individus dont beaucoup ont perdu leurs repères, règlent leurs différends par la force et quelquefois la violence. Les joueurs de football sont un exemple de ces individus-rois qui veulent être concertés, c’est-à-dire, dans leur esprit, respectés. Arsène Wenger faisait très justement remarquer que beaucoup d’équipes nationales, durant ce mondial, sont, elles-aussi, gagnées, comme l’équipe de France, par l’indiscipline et la contestation de l’autorité traditionnelle.

Oui, il faut désormais reconstruire le monde du football, mais sur des bases nouvelles. A ceux qui penseraient que ce qui s’est passé, en Afrique du Sud, est un problème d’obéissance, une « faillite du commandement » (Jean-Claude Darmon), et qu’il suffirait de restaurer l’autorité ancienne pour repartir de l’avant, nous disons clairement : prenez garde, le monde nouveau du football demandera au contraire plus de démocratie en son sein, une meilleure utilisation des compétences – de toutes les compétences, et d’abord de celles des anciens cadres de l’équipe de France de 1998-2000. Les Zidane, Dugarry, Petit, Lizarazzu, Lebeuf… auront évidemment un rôle à jouer dans la future Fédération française de football, car, bien entendu, la FFF d’Escalettes, Houllier et consorts a vécu !

Partager l'article
sur les réseaux sociaux

Facebook
Twitter
WhatsApp
Telegram
LinkedIn

Commentaires

Plus
d'actualités