Version 2

Projet de loi Immigration/Droit d’asile – Des amendements progressistes pour un texte plus humain

Après de nombreuses rencontres avec les associations, fidèle à l’esprit de solidarité du MdP, Sébastien NADOT, député de Haute-Garonne et porte-parole national du MdP, entend proposer plusieurs amendements au projet de loi pour une immigration maîtrisé et un droit d’asile effectif.

Des amendement nécessaires si l’on souhaite que la France reste fidèle à ses valeurs en respectant les droits et garanties justement accordés aux populations de migrants qui souffrent déjà suffisamment des guerres et de la misère qui s’en suit.

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Sur le refus ou le retrait du statut de réfugié en raison d’une condamnation intervenue dans un Etat membre de l’Union européenne et la nécessité de garantir les droits de la défense

La pratique du refus ou du retrait de statut de réfugié en raison d’une condamnation intervenue dans un Etat membre de l’Union européenne existe déjà de manière informelle, il s’agit donc de l’encadrer afin de préserver les droits du demandeur d’asile.

En pratique, et faute d’un encadrement légal, il est trop souvent courant de voir opposer à un demandeur d’asile une décision de condamnation intervenue dans un pays européen sans l’avoir avisé ne serait-ce que de son existence.

Le demandeur d’asile peut donc se voir, lors de son entretien, interroger sur une décision dont le contenu lui est inconnu voire même rejeter sur la base d’une décision dont il apprendra l’existence le jour de la notification de la décision rendue par l’Office. Aussi, il apparait nécessaire que le demandeur et/ou son conseil soit avisé de l’existence de cette décision de condamnation et invité à formuler des observations concernant cette décision de condamnation. Le demandeur et/ ou son conseil doivent être en mesure de faire valoir tous éléments utiles sur les conditions dans lesquelles cette décision est intervenue.

Les observations ainsi formulées doivent être consignées dans le dossier du demandeur d’asile et ce afin de garantir un recours effectif.

Sur les garanties devant entourer les enquêtes administratives

La présente loi entend modifier l’article 114-1 du code de la sécurité intérieure en insérant un V autorisant, désormais, la consultation de traitements automatisés de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978.

Comme ailleurs, le juste équilibre entre sécurité publique et défense des droits est nécessaire en matière de droit des étrangers et d’asile.

Le Conseil constitutionnel a rappelé les termes de l’article 2 de la loi informatique et libertés de 1978 «¤aucune décision administrative ou privée impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour seul fondement un traitement automatisé d’information donnant une définition du profil ou de la personnalité de l’intéressé » en soulignant que les «¤données recueillies dans les fichiers ne constitueront donc, dans chaque cas, qu’un élément de la décision prise, sous le contrôle du juge, par l’autorité administrative¤» ( Conseil Constitutionnel, décision du 13 mars 2003 n°2003-476 DC, JO 19 mars).

A la lumière de cette décision, on peut donc déduire :

– Le retrait ou le refus de statut de réfugié/ protection subsidiaire ne peut reposer sur la seule consultation du dossier ;

– L’administration est tenue d’apprécier le comportement de l’individu dans sa globalité.

Or, pour apprécier le comportement de l’individu dans sa globalité, l’administration doit être tenue de recueillir ses observations.

Réduction de 120 à 90 jours du délai courant de l’entrée sur le territoire français et au-delà duquel le dépôt d’une demande d’asile peut entrainer, à la demande de l’autorité administrative, l’examen de celle-ci selon la procédure accélérée

Les demandes d’asile placées en procédure accélérée sont présumées « moins pertinentes », pour différentes raisons, ce qui justifierait un traitement expéditif. Or, pour placer un demandeur d’asile en procédure accélérée, le projet de loi réduit le délai de 120 jours pour introduire une demande d’asile à 90 jours alors même que la pertinence de ce critère pour juger de la crédibilité d’une demande d’asile est contestée.

D’une part, ce délai de 90 jours est trop restreint : la précarité de sa situation et la vulnérabilité du demandeur d’asile, le barrage de la langue, le défaut d’information et d’orientation, l’accès peu rapide à l’administration sont autant d’obstacles à la seule connaissance de la procédure.

Doit ensuite être mise en place la demande d’asile en tant que telle (rédaction d’un écrit, traduction en français…) puis encore l’accès au dépôt de la demande qui reste difficile et variable d’une préfecture à l’autre.

L’accumulation de ces facteurs implique que beaucoup de demandeurs d’asile ne parviennent pas à faire enregistrer leur demande dans le délai de 120 jours suivant leur arrivée en France. Il en résulte que, dans la très grande majorité des cas, ce délai n’est nullement imputable au demandeur d’asile et ne peut donc être considéré par l’administration comme l’indice d’un défaut de sérieux des motifs de sa demande. Sanctionner celui-ci par un placement en procédure accélérée ne repose donc sur aucune justification objective. Aussi, réduire de trente jours ce délai est d’autant plus attentatoire au droit du demandeur d’asile.

D’autre part, cette disposition est contraire à la notion de réfugié sur place, pourtant consacrée par la jurisprudence et explicitement prévue à l’article L. 713-4 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).

Des craintes de persécutions peuvent en effet naître après l’arrivée en France pour des motifs divers : changement politique ou sécuritaire dans le pays d’origine, publication d’un ouvrage censuré dans le pays d’origine, naissance d’une fille risquant l’excision, possibilité de vivre librement son orientation sexuelle, militantisme politique ou engagement associatif en France, etc…

Convocation à l’OFPRA par tout moyen

Les convocations doivent être envoyées par courrier recommandé.

Aux termes du projet de loi : « Le a du 2° du I, dans un objectif de simplification administrative et de célérité des procédures, autorise l’OFPRA à adresser la convocation à l’entretien individuel par tout moyen. »

La notification par tout moyen entraine une insécurité juridique d’une part, en ce qu’elle ne définit pas le « par tout moyen », et d’autre part, ne permet pas le contrôle de l’envoi et de la réception de la convocation alors même que l’entretien à l’Office revêt le caractère d’une garantie essentielle à l’instruction d’une demande d’asile.

Sur la langue de son choix devant l’OFPRA, il est nécessaire que le demandeur soit informé dans une langue qu’il comprenne.

Notification de la décision de l’OFPRA par tout moyen

Jusqu’à présent, les décisions de l’OFPRA étaient notifiées exclusivement par lettre recommandée avec accusé de réception. Comme pour les modalités proposées de convocation à l’entretien, et plus encore, la notification des décisions par tout moyen ne garantit pas un droit à un recours effectif. En effet, l’absence de preuve d’envoi et surtout de réception précise et effective ne garantit pas l’information du sens de la décision au demandeur et donc une saisine de la CNDA dans le délai imparti.

Sans définition précise du « par tout moyen » le respect du principe de confidentialité et de personnalité de la notification n’est pas non plus garanti.

L’utilisation d’un procédé dématérialisé est d’autant plus à exclure pour les demandeurs d’asile, lesquels sont par définition placés dans un situation de grande vulnérabilité matérielle et sont dépourvus pour la très grande majorité d’entre eux d’un accès permanent et certain aux outils de télécommunication.

Désignation au titre de l’aide juridictionnelle d’un interprète traducteur

Si un demandeur d’asile peut bénéficier de l’assistance d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle devant la Cour Nationale du Droit d’Asile, aucun dispositif n’a été prévu pour permettre la désignation d’un interprète traducteur au titre de l’aide juridictionnelle.

Cela porte gravement préjudice aux demandeurs d’asile non francophones. L’avocat ne peut s’entretenir avec son client non francophone pour préparer son recours sans l’assistance d’un traducteur-interprète.

Prévoir l’intervention de l’avocat et de l’association tout au long de l’entretien afin d’améliorer la qualité de l’entretien

Afin que l’assistance soit effective et permette d’améliorer la qualité de l’entretien et la compréhension de la demande de protection formulée, le texte doit permettre à l’avocat et l’association d’intervenir tout au long de l’entretien et de formuler des observations à l’issue de cet entretien.

Réduction du délai de recours devant la CNDA d’un mois à 15 jours

Le contentieux de l’asile en France se caractérise par un système dérogatoire au droit commun plaçant ainsi le demandeur d’asile dans une situation moins protectrice que celle d’autres justiciables. En effet, d’une part, les demandeurs d’asile ne bénéficient pas des garanties procédurales offertes par un double degré de juridiction, la CNDA étant la seule juridiction à pouvoir statuer sur le fond du dossier.

D’autre part, ils ne bénéficient pas du délai de recours de droit commun en matière administrative qui est pourtant de deux mois. Bien au contraire, le délai actuel de recours devant la CNDA, d’un seul mois, est un délai déjà très court, d’exception, alors même que les demandeurs d’asile sont des justiciables souvent non francophones, parfois peu scolarisés ou analphabètes, qui se trouvent dans des situations de précarité et de vulnérabilité particulières.

Sur la fin de protection en procédure accélérée

L’article 6 ne respecte pas les exigences constitutionnelles et conventionnelles de la France et crée une disproportion entre la rigueur procédurale et l’exercice effectif des garanties.

1) Sur le délai raisonnable

L’article 46 de la directive 2013/32/UE dispose que : « Les Etats membres prévoient des délais raisonnables et énoncent les autres règles nécessaires pour que le demandeur puisse exercer son droit à un recours effectif en application du §1. Les délais prévus ne rendent pas cet exercice impossible ou excessivement difficile ».

L’article 6-1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales dispose que : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue […] dans un délai raisonnable […] et a droit notamment à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».

Aussi, le délai raisonnable doit également être entendu comme le délai accordé à une personne pour recevoir, analyser et répondre aux demandes adverses, avec tous les conseils juridiques et les documents adéquats.

Un court délai prévient la possibilité pour le défendeur de réunir les pièces à l’appui de sa demande – d’autant plus s’il doit les faire traduire – et de permettre à un éventuel conseil de les utiliser afin d’élaborer une défense.

Cette problématique s’accentue relativement à l’article L. 711-6 du CESEDA qui prévoit le retrait du statut de réfugié, sur le fondement de l’article 14 de la directive 2011/95/UE, lui-même un amalgame des articles 1FC et 32 et 33 de la convention de Genève.

En effet, une personne reconnu réfugiée, par acte déclaratif, et bénéficiant conséquemment du statut de réfugié sans lequel la qualité n’est pas effective, peut se voir retirer son statut s’il constitue une menace grave pour la sûreté de l’Etat ou bien s’il a été condamné en France pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ou punissable de 10 ans d’emprisonnement et que sa présence constitue une menace grave pour la société.

Or, une telle procédure est nécessairement complexe et nécessite un délai afin de comprendre les problématiques et réunir les éléments nécessaires, en fait et en droit, pour répondre à une décision de fin de protection.

Dès lors, le raccourcissement des délais de recours, tant pour les procédures d’admission que de fin de protection, fortement dérogatoire au délai de droit commun prévu par la loi, porte atteinte au principe du délai raisonnable en ce qu’il empêcherait les personnes concernées de faire valoir leur droit en temps utile.

2) Sur la procédure accélérée

Le projet de loi souhaite inclure dans le cadre de la procédure accélérée (procédure¤instaurée par la loi du 27 juillet 2015 en contrepartie de la reconnaissance du caractère suspensif des recours des décisions de l’OFPRA) – la procédure de fin de protection prévue par l’article L. 711-6 du CESEDA.

Cette nouvelle procédure – dont il est aujourd’hui impossible d’en évaluer l’impact compte tenu de son caractère trop récent selon avis du Conseil d’Etat – permet de traiter une demande d’asile en l’espace de 7 semaines entre le dépôt de la demande et la décision de la CNDA, qui statut à juge unique, et non en formation collégiale.

Cette procédure avait été ouverte dans des situations laissant présumer que le demandeur d’asile ne s’exposait pas à de réelles craintes de persécutions et traitements dégradants ou bien ne se montrait pas suffisamment coopératif avec les autorités.

Elle vise à éviter l’encombrement des autres chambres pour des demandes prétendument fallacieuses et à sanctionner le demandeur d’asile.

Toutefois, l’article L. 732-2 alinéa 2 prévoyait au juge unique la possibilité de renvoyer l’affaire en formation collégiale « s’il estime que celle-ci ne relève pas de l’un des cas prévus aux mêmes articles L. 723-2 et L. 723-11 ou qu’elle soulève une difficulté sérieuse ».

Or, toute procédure de fin de protection sur le fondement de l’article L. 711-6 du CESEDA, par la gravité de la mesure et les manquements de l’article vis-à-vis des dispositions constitutionnelles et conventionnelles, est de nature à soulever une difficulté sérieuse.

Il apparaît que toute procédure de fin de protection sur le fondement de l’article L. 711-6 du CESEDA soulève une difficulté sérieuse qui nécessite l’examen du dossier en formation collégiale, voire en grande formation.

Sur la Visioconférence :

L’article L.733-1 du CESEDA prévoit la possibilité du recours à la visioconférence devant la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA).

Le texte actuel dispose toutefois que le requérant, résidant en France métropolitaine, peut s’opposer à la visioconférence et demander à être convoqué dans les locaux de la Cour.

La visioconférence est donc facultative et subordonnée au consentement du justiciable.

Le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant au justiciable.

Cette généralisation de la visioconférence, sans le consentement du justiciable, est non seulement contraire à la jurisprudence du conseil constitutionnel, mais aussi critiquée par les acteurs du contentieux, à commencer par les juges. En outre, elle ne peut se justifier par une question de bonne administration de la justice ou bonne utilisation des deniers publics, s’agissant de justiciables qui ne sont pas privés de liberté.

– Une généralisation contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel

Saisi notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, le Conseil constitutionnel a jugé dans une décision du 20 novembre 2003 (n°2003-484-DC) que cela était conforme à la constitution à condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger.

Ainsi, le projet de loi ne saurait prévoir le recours obligatoire à la visioconférence sans méconnaitre la constitution.

– Une généralisation critiquée par les acteurs de l’audience

Les juges qui ont fait l’expérience de la visioconférence s’opposent à sa généralisation.

C’est la mise à distance et la déshumanisation outre de nombreux problèmes pratiques qui sont mis en avant.

Encadrer l’utilisation trop importante des ordonnances dites « nouvelles » (Plus d’un quart du contentieux de la CNDA)

Le projet de loi maintient la possibilité pour le président et les présidents de formation de jugement de la CNDA de rejeter par voie d’ordonnances dites « nouvelles », sans audience, «¤les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision d’irrecevabilité ou de rejet du directeur général de l’office¤».

L’utilisation des ordonnances « nouvelles » représentaient en 2017 25, 9 % du contentieux devant la CNDA.

Plus d’un quart des demandeurs d’asile voient donc leurs dossiers rejetés sans avoir été entendus par un juge.

Loin d’être une exception, le rejet par ordonnance est aujourd’hui devant la CNDA un moyen de « gestion des flux des dossiers ».

Les ordonnances concernent ainsi un grand nombre de premières demandes d’asile, tout à fait « sérieuses » puisqu’elles entrent dans le champ d’application de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire (ex : femme mère isolée victime de violences graves dans son pays, homosexuels victimes de persécutions dans le pays d’origine, famille victime de vendetta, etc…).

Le droit d’être entendu par la CNDA est consacré par le droit européen.

Le droit à un recours effectif en matière d’asile est garanti tant par la directive européenne du 26 juin 2013 relative aux procédures communes en matière de protection internationale

Le droit plus spécifique d’être entendu devant une juridiction en matière d’asile est protégé par la Charte des droits fondamentaux et fait partie intégrante des droits de la défense (articles 18, 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux). Ce principe est rappelé par la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE, n° C-277/11 du 22 novembre 2012, M.M c/ Minister for Justice, Equality and law reform).

Il en va de même pour la CEDH qui a condamné la France à plusieurs reprises sur le fondement des article 13 et 3 combinés de la CESDH, en cas de reconduite de demandeurs d’asile n’ayant pas eu la possibilité d’accéder à une audience pour faire valoir leurs droits (I.M c France Cour EDH 5ème section, 14 décembre 2011 requête n°9152/09). Ce d’autant plus que les ordonnances interviennent généralement à un stade précoce de la procédure et sans délai de prévenance. Cela prive donc les demandeurs d’asile de toute possibilité concrète d’étayer utilement leurs recours.

Sur le choix de la langue

Le projet de loi 2018 prévoit de figer le choix de la langue dans laquelle le demandeur d’asile sera entendu dès l’enregistrement de la demande.

On comprend à la lecture de l’avis du Conseil d’Etat rendu le 15 février 2018 que cette modification de l’article L. 741-2 du CESEDA est mue par la volonté de « remédier aux changements imprévus de langue de procédure en cours d’instruction de la demande, souvent effectués à titre dilatoire par des demandeurs d’asile de mauvaise foi » (point 27 page 7).

Il est très rare que les demandeurs d’asile décident de manière imprévue d’être entendus dans une langue différente en arrivant à l’OFPRA et/ou devant le Juge de la Cour nationale du droit d’asile et ce, à des fins dilatoires.

Si des problématiques de choix de langue peuvent se présenter dans le cadre de la procédure de demande d’asile, elles apparaissent plutôt au stade de la procédure de transfert vers l’Etat membre responsable de la demande d’asile, et ce, en application du règlement Dublin III. Or force est de constater qu’elles sont essentiellement dues au défaut de formation des agents en préfecture.

Le nouvel article proposé n’est pas envisageable :

¤- Tant que l’Etat ne garantira pas un service d’interprétariat dans les préfectures compétentes pour enregistrer les demandes d’asile,

¤- Tant que les agents préfectoraux ne seront pas formés sur les langues pratiquées dans les pays d’origine,

¤- Tant qu’une information exhaustive ne sera pas donnée sur le choix de la langue et les conséquences d’un tel choix pour la suite de la procédure.

Ce droit d’être entendu est la clé de voûte de la procédure en matière d’asile.

Ainsi, il est primordial que le demandeur d’asile puisse, d’une part s’exprimer aisément dans une langue qu’il maîtrise de sorte qu’il soit intelligible, et d’autre part qu’il puisse comprendre par le truchement d’un interprète intervenant dans cette même langue les attentes des personnes chargées de l’examen de sa demande de protection. Il est également impératif que le demandeur d’asile parle en confiance dans une langue qui n’est pas toujours la langue officielle de son pays mais qui est plus proche de sa culture et de ses origines et qui est prévue par la liste des langues dont l’interprétariat est garanti.

Sur le caractère non suspensif des recours

Le recours devant la CNDA ne serait plus suspensif de droit. Or pour rappel, ce recours est le seul aux effets suspensifs dont disposent les demandeurs d’asile sur le territoire français. Ainsi, le demandeur a l’autorisation de se maintenir sur le territoire français tant que la CNDA n’a pas statué sur sa demande d’asile, malgré l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui lui a été faite.

Parmi les grands principes du droit d’asile figure le droit au maintien sur le territoire pendant la procédure d’asile : le droit d’asile découle du préambule de la Constitution qui affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Il a été consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : «Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande ».

Le projet de loi modifie les dispositions de l’article L.743-3 complété par un alinéa et prévoit :

¤¤ – la possibilité, dans le cadre du recours contre une OQTF (saisine du TA dans les 15 jours) prise sur le fondement de l’article L.511-1-6° du CESEDA, de demander la suspension de la mesure d’éloignement jusqu’à l’expiration du délai de recours devant la CNDA ou jusqu’à la lecture de sa décision si elle est saisie, ou notification du rejet par ordonnance.

¤¤ – la possibilité, en cas d’assignation à résidence ou de placement en rétention d’un étranger prononcée postérieurement au rejet OFPRA en vue de l’exécution d’une OQTF prononcée antérieurement à la décision de l’Office et qui n’est plus susceptible de recours TA, de saisir le TA dans un délai de 48h en vue de suspendre la mesure d’éloignement jusqu’à expiration du délai de recours devant la CNDA ou jusqu’à la lecture de sa décision si elle est saisie, ou de la notification du rejet par ordonnance.

Dans les deux cas, il est prévu que le magistrat fasse droit à la demande si la demande de l’étranger présente des éléments sérieux de nature à justifier, au titre de sa demande d’asile, son maintien sur le territoire durant l’examen de sa demande d’asile.

Or le recours doit être effectif. Cela signifie que le requérant ne peut être renvoyé dans son pays d’origine sans avoir pu faire valoir ses droits et être entendu.

L’importance de l’oralité des débats dans la procédure devant la CNDA doit être soulignée.

Elle complète nécessairement la partie écrite de la procédure et apparaît décisive pour le sens de la décision de la juridiction. Le droit d’être entendu par la CNDA est protégé par le droit européen.

Or il y a un vrai risque de renvoi dans le pays d’origine et que le recours soit examiné en l’absence du requérant. Outre le fait que le requérant absent ne pourra pas apporter les éléments écrits et oraux nécessaires à l’instruction pertinente de son recours ce qui rendra celui-ci encore plus difficile et lui donnera peu de chances d’obtenir une protection, cette mesure est absurde car en cas d’octroi de protection il faudrait garantir le rapatriement du requérant en France ce qui ne va pas manquer de susciter des difficultés pratiques et diplomatiques. De plus il y a de vrais risques qu’entre-temps le requérant ait subi une arrestation arbitraire, des tortures voire une exécution sommaire puisque le renvoyer dans son pays le met en danger alors que le juge de l’asile n’a pas rendu de décision définitive et n’a donc pas encore statué pour savoir si le requérant subirait des atteintes à son intégrité physique, à sa liberté, à sa vie, en cas de retour dans son pays d’origine.

Contrôle de la liste des pays d’origine sûrs

La loi de 2015 a modifié la définition des pays d’origine sûrs en adéquation avec le droit européen et prévoit un examen « régulier » de la situation dans les pays considérés comme des pays d’origine sûrs.

Or, malgré cet impératif de régularité prévu par la loi, depuis 2015, cette liste n’a pas été réexaminée alors même que la définition du pays d’origine sûr a changé. Sans contrainte, cette liste ne sera que rarement revue alors même que la situation peut rapidement évoluer dans un pays.

Par ailleurs, quand l’inscription d’un nouveau pays sur la liste est contestée devant le Conseil d’Etat, il statue dans un délai qui est rarement inférieur à un an. Or, durant cette période, les demandeurs d’asile sont placés en procédure accélérée alors que leur pays est en réalité « non sûr ».

Placement en procédure accélérée par l’OFPRA « quand le demandeur a présenté de faux documents d’identité ou de voyage, fourni de fausses indications ou dissimulé des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin de l’induire en erreur ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes »

Il faut rappeler que les représentations diplomatiques ne délivrent pas de « visa de demande d’asile », permettant aux personnes intéressées de voyager légalement dans des conditions normales.

Ainsi, le principe est bien souvent qu’un demandeur d’asile se trouve contraint d’arriver sur le territoire français de façon irrégulière en usant de faux documents de voyage. L’article 31 de la convention de Genève consacre cette réalité par une immunité pénale.

En outre, il ne saurait être présumé que la « dissimulation » d’informations par un demandeur d’asile aurait pour but d’induire en erreur l’OFPRA. Elle s’explique souvent par la difficulté pour le demandeur de livrer tout son parcours d’exil dès son arrivée en France. La parole se libère souvent bien plus tard dans la procédure. Cela est inhérent à la spécificité du demandeur d’asile et au « parcours d’exil ».

Placement en procédure accélérée par l’Office quand le demandeur a fait à l’office des « déclarations manifestement incohérentes et contradictoires, manifestement fausses ou peu plausibles qui contredisent des informations vérifiées relatives au pays d’origine ».

Cette disposition est beaucoup trop large et imprécise. En effet, quand l’office rejette une demande d’asile c’est par définition qu’il considère que les déclarations du requérant ont été « fausses », « peu plausibles » ou « incohérentes ».

Ainsi, cette disposition peut potentiellement permettre à l’OFPRA de placer toutes les demandes d’asile qu’il rejette en procédure accélérée.

Des affaires de même nature peuvent être jugées soit par un juge unique soit par une formation collégiale en fonction de critères imprécis.

L’OFPRA choisi donc son juge.

Surtout, les critères d’ « incohérence » et de « plausibilité » renvoient par essence à une appréciation purement subjective.

Placement en procédure accélérée par la préfecture lors de l’enregistrement de la demande « lorsque le demandeur présente de faux documents d’identité ou de voyage, fournit de fausses indications ou dissimule des informations ou des documents concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d’induire en erreur l’autorité administrative ou a présenté plusieurs demandes d’asile sous des identités différentes¤»

Il faut rappeler que les représentations diplomatiques ne délivrent de « visa de demande d’asile », permettant aux personnes intéressées de voyager légalement dans des conditions normales. Il n’y a aucune alternative légale permettant aux personnes ayant besoin de protection de rejoindre l’Europe.

Ainsi, le principe est bien souvent qu’un demandeur d’asile se trouve contraint d’arriver sur le territoire français de façon irrégulière en usant de faux documents de voyage. L’article 31 de la convention de Genève consacre cette réalité par une immunité pénale.

En outre, il ne saurait être présumé que la « dissimulation » d’informations par un demandeur d’asile aurait pour but d’induire en erreur l’autorité administrative en erreur. Elle s’explique souvent par la difficulté pour le demandeur de livrer tout son parcours d’exil dès son arrivée en France. La parole se libère souvent bien plus tard dans la procédure. Cela est inhérent à la spécificité du demandeur d’asile et au « parcours d’exil ».

Sur les décisions d’irrecevabilité

Cet amendement avait été retenu en 2015 tant par le sénat en première lecture (voir les débats au sénat du 18 mai 2015) que par la commission mixte paritaire (voir le rapport de la commission mixte paritaire du 10 juin 2015).

Le motif de l’adoption de cet amendement était clair : un souci de simplification de rédaction.

En effet, la notion « d’augmentation significative de la probabilité » est trop floue et peu compréhensible alors qu’en présence de faits ou d’éléments de preuve nouveaux, qui se rattachent à une demande de protection, il y a nécessairement une chance de succès.

Placement des mineurs isolés en procédure accélérée

La loi du 29 juillet 2015 avait pour objectif la transposition des directives européennes en matière d’asile. Ainsi elle a introduit la notion de vulnérabilité dans le droit national de l’asile.

L’article L.744-6 alinéa 2 énumère les demandeurs de protection méritant une attention particulière du fait de leur particulière vulnérabilité. Cet alinéa reprend la liste des personnes vulnérables établie à l’article 21 de la directive 2013/33/UE.

Parmi ces demandeurs figurent les mineurs isolés.

De plus, l’article L741-4 fait référence à l’intérêt supérieur du mineur. Dès lors, la loi actuelle présente une contradiction interne concernant le traitement des mineurs isolés.

D’un côté, il est rappelé leur qualité de personnes vulnérables et la nécessité de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, de l’autre côté, aucune garantie procédurale particulière n’est prévue dans le traitement de leurs demandes d’asile par l’OFPRA et la CNDA.

Leur statut de personne vulnérable ne prohibe même pas leur placement en procédure accélérée quand ils sont originaires d’un pays considéré comme sûr, ou que leur présence en France serait considérée comme constituant une menace grave pour l’ordre public.

Le bénéfice d’une procédure normale, à défaut d’une procédure encore plus protectrice de leurs droits, est pourtant le minimum qui doit leur être garanti au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant rappelé à l’article L741-4.

Il ne suffit pas de mentionner le terme de vulnérabilité dans la loi pour garantir effectivement la prise en compte de la vulnérabilité.

Les mineurs isolés doivent pourtant bénéficier de temps pour préparer leur dossier, et doivent être entendus par une juridiction collégiale.

Ces impératifs sont donc incompatibles avec leur placement en procédure accélérée.

Pallier le défaut de sanction de l’erreur de la préfecture ou de l’OFPRA dans le placement en procédure accélérée

La loi de 2015 proscrit la possibilité de contester devant le tribunal administratif le placement à tort d’un demandeur d’asile en procédure accélérée, malgré les conséquences évidentes sur la qualité du traitement de sa demande (article L. 723-2 VI du CESEDA).

Or, rien dans la loi n’est prévu pour pallier cette carence.

En effet, la loi de 2015 prévoit seulement une « possibilité » et non une « obligation » pour l’OFPRA et la CNDA, de renvoyer la demande en procédure dite « normale » en cas d’irrégularité.

En pratique, l’erreur tant de la préfecture que de l’OFPRA dans le placement en procédure accélérée est donc très peu corrigée.

Suppression du « délit de solidarité »

La pénalisation de l’aide à l’entrée et au séjour a été déviée de sa cible. Elle devait avoir pour ambition de sanctionner les personnes et les organisations qui font du passage illégal des frontières un business hautement lucratif, exploitant les personnes qui souhaitent entrer ou séjourner sur le territoire français.

En revanche, l’examen de nombreuses décisions judiciaires démontre que l’article L. 622-1 du CESEDA sert souvent de fondement à des poursuites, voire à la condamnation, d’aidants solidaires qui ne tirent aucun profit de leurs actions, seulement dictées par le refus de laisser les personnes migrantes sur le bord de la route, coupables de ce que les associations ont dénommé le « délit de solidarité ».

Cette proposition prend en considération les contraintes découlant de la directive du 28 novembre 2002 qui oblige les États membres à pénaliser l’aide à l’entrée, au transit et au séjour (sauf but humanitaire ou absence de but lucratif). Elle consiste donc à maintenir cette qualification spécifique, mais en délimitant beaucoup plus nettement son champ d’application.

Il s’agit en effet d’exclure du champ des poursuites, de manière véritablement explicite, les actions purement désintéressées ou qui relèvent de la fourniture normale d’un bien ou d’un service, c’est à dire, finalement, les actes qui ne relèvent pas de l’exploitation.
Le mécanisme de l’immunité institué à l’article L. 622-4, complexe et ambigu, ayant démontré son inefficacité, la définition de l’infraction sera modifiée : l’exclusion des poursuites n’interviendra plus à raison des personnes qui l’ont commise ou des motivations qui les animent, mais sur des critères parfaitement objectifs, certains actes ne pouvant caractériser l’infraction.

La rédaction proposée présente donc plusieurs différences avec le texte actuel :

   – suppression de la notion d’« aide » : c’est de manière absolument surabondante que le texte actuel contient ce terme, la dimension matérielle du délit étant caractérisée par la facilitation ou la tentative de facilitation. Or, la notion d’aide induit une confusion qui a ouvert la porte à la pénalisation de formes de solidarité élémentaire.
C’est donc à la fois par souci de simplification et pour éviter cette confusion que le terme aide n’apparaît plus.

   – remplacement de la mention « directe ou indirecte », qui est incluse dans le terme « facilitation », par l’adverbe « sciemment » figurant dans la directive; le délit ne peut exister que si la personne qui en aide une autre est informée de ce que cette dernière est en situation de séjour irrégulier.

   – suppression de la notion de « circulation » car cette terminologie est également surabondante.
En effet, ce terme n’est pas utilisé par la directive 2002/09 du 28 novembre 2002 qui ne mentionne que l’entrée, le séjour et « le transit ».
Or, faciliter la « circulation » sur le territoire national relève évidemment de la facilitation du séjour. Quant à la circulation au passage de la frontière française, elle est réprimée soit au titre de l’aide à l’entrée en France, soit au titre de l’aide au transit de la France vers un État voisin, laquelle est expressément prévue par le 3° alinéa de l’article L.622-1. La suppression du terme «¤circulation¤» clarifie donc la rédaction de l’article sans faire disparaître la pénalisation du transit imposée par la directive.

   – suppression de la sanction d’interdiction de territoire français pour une durée de dix ans au plus prévue par le 6° de l’alinéa L.622-1.
La peine d’interdiction du territoire français est une sanction pénale qui distingue les auteurs d’infractions à raison de leur nationalité¤: son principe contrevient au principe d’égalité devant la loi, en ce qu’elle constitue une double peine pour les personnes étrangères. Si l’exploitation des personnes migrantes justifie une réponse pénale, elle ne saurait emprunter cette voie, qui va va au demeurant manifestement bien au-delà des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives » prévues par la directive;

   – suppression de la liste des causes d’exemption (à la fois à raison des liens familiaux ou du caractère « humanitaire » de l’acte) : une telle liste n’est pas nécessaire dès lors que le champ de l’infraction ne couvre que les actes de facilitation accomplis à des fins d’exploitation des personnes migrantes.

Plusieurs notions sont à l’inverse ajoutées, pour exclure du champ de l’infraction toutes les actions qui ne sont pas accomplies à de telles fins :

– la facilitation « à titre gratuit » : dès lors que l’aide apportée n’implique aucune contrepartie financière, qu’elle soit le fait d’un membre de la famille, d’un proche, d’une personne ou d’une organisation sans lien avec la personne aidée, il n’y a pas lieu à ce que des poursuites soient intentées.

– la facilitation « sans contrepartie manifestement disproportionnée » : l’objet de l’incrimination est de viser les personnes qui profitent du caractère hautement lucratif de ces activités. Elle doit donc exclure les personnes qui, objectivement, apportent une aide en acceptant une contrepartie non manifestement disproportionnée (par exemple qu’une personne hébergée participe aux tâches quotidiennes du foyer) et même aux personnes ou structures de nature commerciale qui fournissent un service sans exiger une rémunération disproportionnée (commerce, hôtellerie, transport…).
Remarque : le critère de « sans but lucratif » a souvent, en pratique, été confondu avec « à titre gratuit » ce qui apparaît comme excessivement restrictif comme le montrent les exemples précédents. C’est pourquoi nous introduisons le second critère qui implique un but éventuellement professionnel mais pas lucratif.

La modification proposée est conforme à l’objet de la directive et permet de redonner tout son sens à l’infraction pénale : lutter contre les réseaux de passeurs et l’exploitation subie par les personnes migrantes.

Pour les personnes qui souhaiteraient former une demande au-delà du délai, il faudrait qu’ils justifient de « circonstances nouvelles ».

D’une certaine manière cela peut être rassurant pour le demandeur d’asile de ne pas avoir à attendre, comme l’exigent aujourd’hui certaines préfectures, la fin de la demande d’asile pour sécuriser sa situation.

Tout va se jouer sur le délai qui « serait fixé par décret en Conseil d’Etat » puisque le demandeur d’asile faisant l’objet d’une mesure d’éloignement fondée sur le rejet de sa demande d’asile ne pourra plus solliciter un titre de séjour hors du délai fixé.

Cela paraît difficilement conciliable avec le droit au respect de sa vie privée et familiale tel que garanti par les dispositions de l’article 8 de la CESDH et crée une rupture d’égalité de traitement entre les étrangers selon qu’ils aient été demandeurs d’asile ou non par le passé.

 

 

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