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Que se passe-t-il au Réseau de Transport d’Electricité (RTE) ?

Que se passe-t-il au Réseau de Transport d’Electricité (RTE)  ?

Et pourquoi le Mouvement Progressiste est favorable à l’ancrage sur les territoires de cette autre filiale d’EDF  ?

Une interview de Jean-Jacques Ramberg, cadre dans cette filiale, par Pierre Cazenave, Délégué du Mouvement Progressiste en Aquitaine.

Vous êtes cadre à RTE, mais-aussi Secrétaire d’un Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre parcours au sein de cette entreprise publique assez méconnue du grand public ?

RTE est effectivement toujours une entreprise à capitaux publics, mais avec un statut de Société Anonyme depuis l’éclatement d’EDF, imposé en 2004 à ses usagers et à son personnel. Elle emploie environ 8 300 salariés qui ont en charge de conduire, entretenir, renouveler et développer le réseau de transport électrique à Haute et Très Haute Tension (de 63 000 à 400 000 Volts). RTE est découpé en sept plaques régionales, dont celle du Sud-Ouest qui regroupe environ un millier d’agents. Cette plaque englobe la totalité des régions Aquitaine et Midi-Pyrénées ainsi qu’une partie des régions Auvergne, Limousin et Languedoc-Roussillon.

Avant cette activité syndicale, j’ai exercé assez longtemps la fonction de Chef de Projets, après être passé par un peu tous les emplois de l’Ingénierie. Ce parcours m’a permis de me faire une idée assez précise du fonctionnement de notre entreprise, de son évolution au fil du temps, de ses difficultés actuelles et de celles de son personnel. C’est d’ailleurs à cause d’une écoute par la hiérarchie devenue inexistante malgré mon expérience, et d’un refus de toute amélioration de fonctionnement possible, que je me suis décidé à changer complètement d’orientation, en consacrant mes dernières années professionnelles à une activité syndicale à plein temps, ce que je ne regrette absolument pas.

J’ai donc accepté en 2008 de devenir le Secrétaire d’un CHSCT en charge d’environ 200 agents, relevant du Service Ingénierie et de quelques autres petites entités de la plaque RTE Sud-Ouest. Je suis également depuis cette date Délégué Syndical CGT, en charge du personnel d’encadrement, et plus récemment un des élus au Comité d’Etablissement de RTE Sud-Ouest.

Les salariés, dont s’occupe notre CHSCT, relèvent du secteur tertiaire et travaillent dans les domaines de la construction et de la maintenance d’ouvrages de transport électrique (lignes aériennes et souterraines ; postes de raccordement et de transformation).

Il y a déjà quelques mois, des élus du Personnel de RTE ont sollicité le Mouvement Progressiste, et en premier lieu Robert Hue. Pourquoi ?  Et que se passe-t-il exactement au sein de votre entreprise ?

A ma connaissance, des parlementaires de plusieurs formations politiques ont été sollicités aussitôt que les élus du Personnel ont eu connaissance du projet de réorganisation de RTE. Les grandes lignes envisagées par le Directoire leur ont été présentées. Ce projet s’annonçait déjà comme particulièrement déstructurant pour l’entreprise et néfaste pour le Service Public. Au vu du dossier, un certain nombre d’entre eux ont alors confirmé qu’il y avait d’autres perspectives possibles pour cette réorganisation et ont offert leur aide pour attirer l’attention du gouvernement sur ce dossier. C’est le cas bien sûr de Robert Hue, mais aussi du sénateur Roland Courteau, qui vient d’être nommé Président du Conseil Supérieur de l’Energie, ou encore du sénateur Jacques Berthou, qui a mené sa carrière professionnelle au sein du Service du Transport d’EDF, avant la création de RTE.

En janvier 2013, la Direction de notre entreprise a enfin présenté des documents écrits aux élus du CCE. Dès les premières lignes, on peut y lire que l’organisation actuelle de RTE a donné pleinement satisfaction jusqu’à présent. Notre Management, qui sous-entend donc qu’il est possible de faire encore mieux que « pleinement », semble découvrir en même temps les notions « d’organisation tournée vers le client », « d’organisation responsabilisante », ou « de recherche de la performance ». Ce ne sont pourtant que les concepts de base, écrits en langage de consultant, de toute entreprise digne de ce nom, qu’elle soit privée ou publique.

Les documents ne comportent aucune analyse du fonctionnement actuel de RTE, ni d’exemples concrets, pour mettre en lumière le moindre dysfonctionnement constaté, ni non plus d’esquisse pour différentes propositions d’organisation. Et au final, le pavé d’une centaine de pages proposé ne rassemble que des déclarations de bonnes intentions à concrétiser plus tard, une liste de points de vigilance à surveiller sans modalités pratiques, et des ergotages sur des concepts hors de tout travail réel, à l’image de la comparaison entre la notion de coordination et celle de coopération.

Les seuls éléments très concrets du dossier consistent en un projet de découpage de l’entreprise en trois grands métiers et en la verticalisation de chacun de ces métiers par une centralisation extrême de leur Management au niveau national. Encore plus que par le passé récent, toutes les équipes seront ou pourront être rapidement déconnectées de toute référence à un territoire d’intervention précis. Dès lors, la porte sera grande ouverte à tous les redéploiements possibles et imaginables, au gré du flot des départs en retraites à venir.

Pour ne pas affoler les élus des collectivités territoriales qui risqueraient de s’inquiéter en voyant disparaître leurs possibilités d’intervention, des postes de Délégués seraient créés au niveau de chaque plaque régionale de RTE pour être le seul interlocuteur officiel. Mais en réalité, il y en aurait 7 pour 22 régions administratives, et ils n’auraient aucun pouvoir hiérarchique sur les métiers de leur plaque, contrairement aux Directeurs Régionaux actuels. Et pour rassurer les salariés inquiets, comme les élus locaux qui pourraient en être soucieux, des messages lancinants rappellent à outrance que tous les emplois seraient préservés, que les effectifs resteraient constants, et qu’il n’y aurait aucun changement pour les implantations et les sites existants …

Pour mémoire, des organisations similaires ont déjà été mises en place ces dernières années dans d’autres grandes entreprises publiques, avec les résultats qu’on a pu constater, comme France Telecom, ou maintenant La Poste. ERDF, une autre des filiales du groupe EDF, a subi elle-aussi une réforme du même type. Et finalement, sous la pression des collectivités locales et des autorités de tutelle, elle a été contrainte de faire marche arrière devant la dégradation de la qualité constatée sur son réseau de distribution.

En quoi précisément êtes-vous concerné sur le CHSCT dont vous êtes Secrétaire ?

Ce projet touche tout le personnel relevant de notre organisme à double titre, en particulier celui qui travaille dans l’Ingénierie de Réseau. Au-delà des modifications des rattachements hiérarchiques qui devraient concerner l’ensemble de l’entreprise, ce domaine d’activité spécifique serait complètement chamboulé pour la 5ème fois en à peine 20 ans.

Une majorité de salariés devrait voir leur champ de compétences s’agrandir, ou le nombre de tâches dans leur emploi se multiplier, ou encore le territoire de leurs interventions s’élargir, quand ce ne serait pas tout bonnement le cumul de ces trois effets !  Mais en l’absence de documents suffisants présentés aux différences instances du Personnel, personne ne peut en mesurer la portée exacte. Seuls des grands principes sont avancés, mais sans les définir plus en détail. Pourtant, ils ont vocation à remplacer des organisations bien précises qui fonctionnaient jusqu’à présent, et dont il n’est apporté aucun constat de déficience. Même l’expertise, votée par le CHSCT pour l’aider dans la compréhension du dossier, n’a pu permettre d’y voir plus clair. Les différents responsables hiérarchiques rencontrés se sont bornés à exprimer leur interprétation personnelle du projet, à défaut de pouvoir répondre aux questions précises des experts.

Ainsi, à l’image des réformes faites dans d’autres grandes entreprises publiques, la notion de territoire disparaitrait complètement au profit de la notion de spécialisation qui reste assez artificielle dans un métier comme celui de l’Ingénierie. Et comme cette spécialisation n’est pas vraiment adaptée aux ouvrages que nous avons l’habitude de traiter, le projet de réforme prévoit des « sous-spécialisations » en complément, mais sans en définir non-plus les contours …

Un autre exemple, le pôle réalisation est prévu de disparaître. C’est un service spécifique qui avait été créé pour rationaliser et optimiser le contrôle des travaux confiés à nos prestataires, mais aussi pour suivre et coordonner l’ensemble de nos chantiers d’Ingénierie. Il serait remplacé lui-aussi par un autre grand principe, celui du « prescripteur-contrôleur ». A entendre les explications, tout le monde serait amené à contrôler un peu de tout, et un peu partout, mais sans que cela ne génère de volume de déplacements supplémentaires !  Quand à l’efficacité du principe, n’en parlons même pas …

Pour l’instant, notre CHSCT n’a pu que constater l’insuffisance de définition du projet pour le domaine Ingénierie. Et dans une de ses délibérations, il a acté les différents points pour lesquels il lui faut obtenir des informations complémentaires précises pour pouvoir rendre un avis. Mais à ce jour, nous sommes malheureusement toujours dans l’attente de ces documents.

Que penser de ce dossier ?

La lecture de ce projet peut être faite à plusieurs niveaux. Mais je précise bien que c’est ma vision personnelle, et non celle officielle de la CGT, même si elle est partagée par de nombreux autres responsables syndicaux.

Je constate que la grande majorité des managers, en toute bonne foi, défendent l’idée d’une amélioration nécessaire du fonctionnement de RTE. Ce devrait d’ailleurs être une démarche naturelle et permanente de l’entreprise qui serait bien plus efficace que tous les chamboulements proposés. Mais pour beaucoup d’entre eux, même s’ils ne peuvent pas vraiment se livrer, ils sentent bien que cette réforme venue d’en haut n’est pas réellement fondée, donc pas adaptée, et surtout que son application est brutale et se fait sans aucune concertation. Tous ces managers sont en grande difficulté avec les agents dont ils sont responsables car ils doivent promouvoir un projet auquel ils ne croient pas et pour lesquels ils n’ont pas les réponses.

Au plus haut niveau du Management de RTE, les choses me semblent bien différentes. La conjoncture entre la nécessité d’affirmer un leadership comme gestionnaire de réseau dans la construction européenne qui continue et le fort renouvellement du personnel de l’entreprise (près de 50 % de départs en retraite dans les 10 ans) a entrainé nos dirigeants sur la voie d’une gestion politique et comptable des effectifs au détriment de la performance technique et du Service Public. Bien sûr, ils s’en défendent par avance grâce à une communication particulièrement soignée, diversifiée et omniprésente. Mais « Communication » n’a jamais signifié « Vérité » …

Je pense qu’il existe un réseau d’influence qui s’étend bien au-delà de la Direction de RTE quand on constate la similitude des modèles d’organisation proposés actuellement pour les grandes entreprises publiques. Ce réseau fait un large lobbying vers les responsables politiques sur le thème : « RTE pourrait être le modèle du futur GRT européen, si vous laissez sa Direction mettre en place l’organisation souhaitée ». Dans un monde libéral, la mariée n’est que plus belle si ces effectifs sont « très mesurés » … Voilà comment on arrive à vendre une coquille vide : un modèle d’entreprise à l’étiquette « plus sociale que la moyenne », tout en supprimant dans le même temps tout ce qui en avait fait jusque-là sa force.

Et pour compenser les prestations qui ne pourraient plus être réalisées par le personnel non-renouvelé au sein de RTE, la seule solution qui reste, c’est le recours accru, voire massif, à la sous-traitance. Nos prestataires historiques, et même un certain nombre de nouveaux venus, savent qu’ils y trouveront largement leur compte et doivent très certainement apporter leur contribution à ce lobbying. Car eux, à contrario d’un service public, n’assurent leurs prestations qu’avec une responsabilité très limitée dans le temps et ne s’embarrassent pas avec des contrats à durée indéterminée. Et pourtant, comme m’en faisait part encore tout récemment un manager, le coût de construction de nos ouvrages n’a jamais été aussi élevé qu’aujourd’hui … Où passe donc tout cet argent ?

Et pour terminer, pourquoi avoir tenu à bien différencier votre opinion personnelle de celle de votre syndicat  ?

Tout simplement parce que les principaux responsables CGT de RTE ne s’expriment que très peu sur le sujet. Non pas qu’ils soient d’accord avec le projet – toute personne qui veut bien prendre le temps de lire et d’analyser le dossier en perçoit vite ses objectifs et ses dangers – mais parce qu’il me semble qu’ils n’ont pas mesuré à quel point la Direction consacre ses forces à la bataille de la communication. Il nous faut, nous-aussi, être présents sur ce terrain, même si ce n’est pas forcément le plus naturel. C’est d’ailleurs ce que d’autres OS ont bien compris.

Peu importe ce qu’il peut y avoir dans le dossier ou dans les belles promesses prétendument obtenues par la pseudo-concertation, l’essentiel, c’est de … Communiquer !  Pour la Direction, il s’agit d’anéantir dans l’esprit des agents toute autre alternative possible d’organisation et toute incrédulité sur la mise en œuvre du projet. Et pour ces autres OS, il s’agit de stigmatiser la position de la CGT dans la tête du plus grand nombre de salariés. A les croire, la CGT ne serait qu’archaïsme et refus systématique de toute évolution. La possibilité que leur offre en plus la consistance de ce projet, c’est à dire pouvoir s’emparer du contrôle d’un maximum d’Instances Représentatives du Personnel, les pousse d’ailleurs à un comportement parfaitement schizophrène (un grand écart permanent entre l’affichage d’un dialogue constructif avec une Direction qui ne connait que le monologue, et l’affichage d’un soutien indéfectible à un personnel qui rejette en bloc toutes les réformes décidées ces dernières années).

De ma place, je perçois tous les jours un peu plus le désarroi d’une grande partie du personnel. Il travaille depuis plusieurs années dans une situation très dégradée à la suite des nombreuses réformes déjà intervenues et à cause d’un Management qui a délaissé le travail réel. Il est envahi en permanence par un discours lénifiant sur la réforme. Et il est confronté à la réalité d’une organisation qui est déjà mise en place officieusement dans de nombreux domaines.

Et à côté de ça, la position de la CGT de RTE n’est pas audible. Au milieu d’un climat délétère, entre un gouvernement qui décide peu, et pas très vite, et des interventions dans les médias qui l’éreintent à longueur de journée, les  agents n’ont plus aucun espoir. Et nombreux sont ceux qui estiment déjà que la réforme est actée.

Pourtant, la CGT a tant de choses à dire et à faire savoir largement au Personnel.

– Les salariés savent-ils pour quelles raisons exactes la CGT n’a pas voulu participer, cette fois-ci, à la pseudo-concertation de la Direction ?

– Les agents ont-ils connaissance de la bataille qui se mène en coulisses et des interventions politiques conséquentes déjà faites sur le dossier ?

– Le personnel sait-il que la CGT a travaillé dans plusieurs régions sur une organisation alternative, concrète, claire, simple, et facilement compréhensible pour tout un chacun ?  Une organisation qui répond au besoin d’un véritable Service Public pour notre pays, mais aussi au besoin d’un redressement industriel et économique, avec des vrais emplois et avec des partenariats durables avec nos industriels et nos PME. Une organisation qui s’ancre parfaitement sur les territoires et qui propose de véritables interlocuteurs aux différentes collectivités territoriales (régions administratives, ensemble de départements, etc.).

Je me doute bien que soulever toutes ces questions peut sembler outrepasser le rôle d’une Organisation Syndicale, et je comprends que cela puisse poser question. Mais je reste absolument persuadé que ces choix politiques, au sens noble du terme, doivent être largement promus et expliqués à tous, élus comme salariés de notre entreprise.

La réflexion sur l’organisation de RTE est un parfait exemple de dossier qui devrait fédérer le personnel et sa Direction, comme les citoyens et ses élus. Si au final cela ne se fait pas, c’est que les élites ne sont plus en cohérence avec le peuple, et que la démocratie est en grand danger.

Et une des premières conséquences concrètes va concerner l’aménagement du territoire et l’égalité de traitement des régions, des départements ou des agglomérations. Certaines zones ayant une plus faible densité de population ont déjà vu le temps d’intervention pour les dépannages s’envoler à la suite des fermetures de sites ou d’équipes. Malgré les belles paroles d’aujourd’hui, dans peu de temps, toutes les zones de ce type subiront le même sort au nom de la performance économique.

Interview réalisé le 7 juillet 2013 par Pierre Cazenave

Ancien Cadre Supérieur à Electricité de France et Gaz de France
Ancien Coordinateur au Commissariat à l’Industrialisation et au Tertiaire en Poitou-Charentes
Animateur de la Commission énergie du Mouvement Progressiste
Délégué régional du Mouvement Progressiste Aquitaine

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