Pourquoi recourir à une société privée ? Pourquoi retenir un grand groupe italien ? Sur quels critères ? La question de l’écotaxe a sans doute cristallisé une partie de la colère en Bretagne. Sans aucun doute aussi, elle a été instrumentalisée par certains lobbies des transports routiers, de la grande distribution, et d’une partie de la droite. Le gouvernement a eu la sagesse d’en suspendre la mise en œuvre. Pourtant, au-delà de la pertinence de la-dite taxe, on découvre une face cachée : sa mise en œuvre et les conditions de son recouvrement.
Cette taxe, dans son principe, peut présenter quelque intérêt en ce qu’elle permettrait de dégager des fonds destinés à développer des modes de transports alternatifs aux poids lourds, même si le concept de « pollueur/payeur » présente des limites : les gros pollueurs peuvent souvent se payer une virginité écologique tout en persistant à polluer finalement à bon compte.
Cependant, l’actualité sur ce sujet aura eu le mérite de jeter un coup de projecteur sur l’échafaudage conçu par le régime sarkoziste : il soulève de nombreuses questions. D’abord, parce que le gouvernement Sarkozy /Fillon avait choisi d’abandonner son pouvoir régalien en matière de fiscalité au bénéfice de l’entreprise privée Ecomouv’, spécialement créée pour la circonstance. Peut-on imaginer que la collecte de l’impôt sur le revenu soit confiée au privé ? Ensuite, parce que le contrat a été signé en catimini le jour même de l’élection présidentielle de 2012. Comme un ultime coup de canif au service public ? Comme un ultime cadeau du président des riches à un géant de la finance internationale ?
On est donc tenté par la réouverture de ce dossier. Au point qu’une enquête parlementaire est dans l’air.
Ecomouv’ est une société de droit privé. Elle appartient à plusieurs actionnaires, dont le principal (70%) est l’italien Autostrade per l’Italia, société qui est elle-même une filiale du groupe Atlantia S.p.A dont le siège social est situé à Rome, propriété de Benetton. Le groupe occupe la première place en Europe parmi les concessionnaires de construction et de gestion d’autoroutes à péage et des services connexes de mobilité.
Le contrat, signé par les ministres sarkozystes Kosciusko-Morizet, Baroin et Pécresse, stipule qu’en cas de retrait du dispositif, l’Etat devrait payer 800 millions d’euros à la société. Ecomouv’, chargée du recouvrement de la taxe, du financement des infrastructures, de la conception, de la réalisation et de l’entretien de l’écotaxe, se réserve, toujours par contrat, quelques 250 millions d’euros par an pour une durée de 13 ans. Un véritable jackpot : pour l’Etat , qui empocherait 1,2 milliard d’euros par an, et pour Ecomouv’, qui estime ses propres recettes à 2,8 milliards d’euros sur la durée du contrat pour un coût d’investissements de 650 millions d’euros.
Au moment de l’appel d’offre, en 2010, plusieurs sociétés étaient sur les rangs : le groupement Alvia, du groupe français Sanef (avec notamment la Caisse des dépôts), un consortium autour de France télécom, et bien sûr Autostrade per l’Italia. Une commission présidée par Jean-Louis Borloo avait posé une préférence optionnelle pour le groupe italien qui décide de se franciser en créant un consortium nommé Ecomouv’ dans lequel entrent, minoritaires, Thalès, SNCF et SFR. Mais on apprendra par les impétrants évincés que des irrégularités ont été relevées. Exemple : un bureau d’études techniques suisse a été consulté par le gouvernement Fillon alors qu’il était en affaire avec le groupe italien. Des recours sont alors déposés. Le tribunal de Cergy-Pontoise saisi : l’appel d’offres sera annulé. Coup de théâtre : le Conseil d’Etat valide, contre toute attente, la procédure. Le droit aurait donc été respecté. Mais un fort soupçon demeure sur les critères retenus pour qualifier le groupe italien. Et lui offrir le jackpot. Au final, seuls 60% du produit de la taxe entrerait dans les caisses de l’Etat.