Intervention de Robert Hue au Sénat dans le débat du projet de Loi sur l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe.
Pour voir la vidéo, cliquez sur ce lien ou la photo.
Monsieur le Président, Madame la Ministre, mes chers collègues,
L’Histoire de la République est une promesse, celle de la marche vers l’égalité de tous les citoyens, sans distinction de quelque sorte. Car comme le disait Montesquieu, « l’amour de la démocratie est celui de l’égalité ». Madame la Garde des Sceaux, il est de l’honneur du Gouvernement de la République auquel vous appartenez de continuer à donner vie à cette belle promesse, en soumettant au Parlement le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe.
Ce texte vient traduire dans notre droit la proposition de campagne du candidat François Hollande que j’ai soutenu comme des millions de Français. Il va enfin concrétiser, pour des milliers de couples et de familles, un principe d’égalité de traitement et de considération, la reconnaissance d’un statut juridique identique, sans distinction portant sur des aspects ne relevant que de la vie privée.
Cette évolution vient de loin. Je me réjouis que l’histoire aille dans le sens d’un élargissement continu des droits, en permettant l’inclusion des citoyens. Curieux paradoxe d’ailleurs, que de constater que ceux qui étaient hier les adversaires acharnés du PACS, au nom de la défense de la « famille », s’en fassent aujourd’hui les chantres zélés, allant jusqu’à proposer une union civique qui n’est en réalité qu’une version améliorée du PACS, sans permettre la même protection.
En à peine 15 ans, l’évolution des mentalités – et c’est heureux – a conduit à banaliser les PACS contractés entre personnes de même sexe. Nul ne songe à revenir dessus. Or les Français sont aujourd’hui largement favorables au mariage entre personnes de même sexe, comme le montrent les sondages (même si on ne gouverne pas avec les sondages !) ; je ne doute donc pas que d’ici quelques années la même banalisation du mariage s’imposera comme cela s’est passé dans les pays qui ont déjà légiféré dans ce sens.
Ce constat démontre à quel point le combat pour les droits des homosexuels fut aussi âpre que méritoire. Je pense bien sûr à la dépénalisation des relations homosexuelles voulue par le président François Mitterrand en 1982. Mais je pense aussi en ce jour aux revendications exprimées à partir des années 80, lorsque l’épidémie de Sida produisit ses premiers ravages. L’absence de tout statut légal pour les couples homosexuels plaçait de nombreuses personnes dans des situations matérielles difficiles après le décès de leur concubin, en plus du deuil qui les frappaient. C’est aussi pour que de tels drames humains ne se reproduisent plus que ce texte constitue un progrès social.
Mes chers collègues, la famille est bien un socle de notre société. Pour autant, on ne saurait réduire la famille à une simple réalité biologique assise sur les liens du sang. Il n’est pas besoin d’un exposé exhaustif pour constater que le modèle familial que défendent les opposants à ce texte n’est qu’une invention récente au regard de l’histoire. Comme tout modèle, il a ses contingences, soumises aux évolutions de la société.Le modèle familial d’hier n’a pas vocation à demeurer figé dans un moule éternel.
Le sens du mariage a lui-même évolué pour exprimer avec davantage d’intensité des ressorts libéraux et égalitaires entre deux personnes qui s’aiment. Que l’on songe au statut de l’épouse avant 1965, lorsqu’elle ne pouvait pas même travailler sans l’autorisation de son mari !
Le droit doit appréhender les faits, et non l’inverse, et nous sommes dans notre rôle de législateur en portant cette évolution du droit, a fortiori au nom de l’égalité.
A tous ceux qui s’opposent à ce texte, faut-il dire que non, nous n’allons pas détruire les fondements de la société. Non, nous n’allons pas changer de paradigme anthropologique. Non, nous n’allons pas créer des générations d’enfants psychologiquement instables.
Madame la Garde des Sceaux, vous l’avez dit : le mariage n’est plus le seul mécanisme de légitimation sociale des familles, même s’il en garantit le niveau de protection le plus élevé. Rappelons-nous que jusqu’à 2001, les enfants légitimes et naturels n’étaient pas placés sur le même plan d’égalité en matière de successions.
D’ailleurs, les familles homoparentales ne constituent pas un fait isolé, puisque l’INSEE estime à entre 20.000 et 30.000 le nombre d’enfants concernés. En toute hypothèse, le seul critère qui importe doit être celui de l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit bénéficier de la protection juridique la plus élevée. Or, actuellement, ces enfants vivent dans une zone grise juridique susceptible d’amoindrir leurs droits et d’affecter les liens qu’ils entretiennent avec leur parent, biologique ou social.
Ce texte, qui s’inscrit dans la longue marche du Progrès, permet aussi de mettre fin à une hypocrisie légale puisque notre droit donne déjà la possibilité à une personne seule, homosexuelle, d’adopter. Tandis que cette possibilité est refusée à un couple homosexuel.
Ne nous trompons pas de débat. Ce texte ne concerne en RIEN l’ouverture de la PMA ou la reconnaissance de la GPA. Il n’est pas plus question d’ouvrir un droit à l’enfant, comme l’affirment certains. Seul compte pour l’heure d’assurer aux enfants et à tous les couples qui les élèvent, et qui le souhaitent, un statut protecteur et égal conforme aux valeurs de la République.
Madame la Garde des Sceaux, mes chers collègues, nous avons conscience de la solennité de ce moment, alors que bien des yeux de nos concitoyens sont dirigés vers notre hémicycle. Nous en avons d’autant plus conscience que nous mesurons le chemin parcouru – et qu’il reste encore à parcourir ! – par les personnes homosexuelles pour vivre dans une société qui non seulement les acceptent, mais qui ignore de fait leur orientation sexuelle pour en faire des citoyens comme tous les autres.
L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne constitue pas l’octroi d’un droit. Il s’agit tout simplement de donner à chacun l’accès plein et entier à la loi commune.
Mes chers collègues de l’opposition, la société change. Si vous ne voulez pas changer avec elle, la société changera sans vous !