Le rocker Super Hue, communiste hors parti
Super Hue, le jeu de mots est facile. Le problème, c’est qu’interviewer Robert Hue, vétéran communiste, revient à faire un tour au supermarché. Le rock, les jeunes, l’Union soviétique, la démocratie, le Parti communiste… Chez Super Hue, tout y passe. Entretien et playlist.
C’est qu’aujourd’hui, il est libre de se lâcher, désengagé qu’il est du vieux carcan communiste dont il a rendu la carte.
A l’aise sous une chemise à rayures, une cravate à rayures et un costume à rayures, le barbu-sans-moustache le plus célèbre de France parle sans ambages. A toi Bobby !
Snatch : A quoi ça ressemble une jeunesse dans le Val d’Oise, à Cormeilles-en-Parisis ?
Robert Hue : C’est une jeunesse dans une petite commune de banlieue, une jeunesse dans les années 1960.
C’est une jeunesse modeste -je suis issu d’une famille ouvrière, résistante pendant la guerre et communiste. Et c’est surtout une jeunesse marquée très tôt par l’engagement politique.
Il commence quand d’ailleurs cet engagement ?
Et bien, cet engagement, il s’exprime avec force au moment de la fin de la guerre d’Algérie. En février 1962, j’ai 16 ans et je participe à une manifestation pour la paix en Algérie, rue de Charonne, à Paris.
Cette manifestation est marquée par la mort de onze manifestants. Le lendemain, je prenais ma carte aux Jeunesses communistes de Cormeilles. Un an après, j’adhérais au Parti communiste au moment de la fête de l’Humanité.
Vous venez donc au communisme pendant votre adolescence mais, au même moment, vous découvrez le rock, une musique qui vous passionne…
Vous savez, il y a quelque chose de très profond qui se passe dans la jeunesse française, à cette époque. Nous sommes à la fin des Trente Glorieuses, juste à la fin de la guerre d’Algérie, nous avons une jeunesse qui a connu les lendemains de la seconde guerre mondiale avec certaines rigidités.
On sent dans les années 1960 émerger quelque chose de très singulier : une soif de vivre autrement. C’est la fin d’une époque et le début d’une autre, inaugurée par l’effervescence de 68.
Le rock’n roll, dans les années 1960, c’est une volonté très forte d’exprimer un dépassement, une colère, un dynamisme. Ça, ce n’est pas du Yéyé !
Moi, mes idoles de l’époque, c’est Elvis Presley, Eddie Cochran, Gene Vincent, des gens qui bougent ! (Voir la vidéo d’Eddie Cochran qui chante « C’mon Everybody »)
Mais, là, vous allez me dire qu’il y a un paradoxe entre se tourner vers un idéal politique inspiré par le bloc soviétique et se prendre de passion pour une culture tout droit débarquée du bloc opposé, les Etats-Unis, n’est-ce pas ?
Nous allions y venir effectivement… Alors comment vous, communiste, pouvez-vous porter une musique américaine ?
Mais le rock’n roll n’est pas vraiment une musique américaine ! C’est une expression forte de colère, elle est née dans le blues. Presley, qui dynamise le rock aux Etats-Unis, est d’une famille modeste.
« Rock around the clock » ou « Trouble », les premiers succès de Presley [le titre « Rock around the clock » est de Bill Haley & The Comets, ndlr] sont des chansons qui expriment un sentiment de révolte ! Voilà pourquoi ce n’est pas si contradictoire. (Voir la vidéo d’Elvis Presley qui chante « Trouble »)
A 16 ans donc, vous fondez un groupe à Cormeilles-en-Parisis, Les Rapaces, et vous prenez un nom de scène : Willie Balton…
Tous les groupes trouvent des noms visant à exprimer une certaine agressivité. Vous avez Les Vautours avec Vic Laurens, vous avez Les Pirates avec Dany Logan, Les Chats Sauvages, pourquoi « sauvages », hein ?
Bon, Les Rapaces, on a trouvé ça et personne ne nous a demandé de droits d’auteurs. Et l’idée de la rapacité n’avait pas de contenu économique, social, c’était plutôt une sorte de réponse colérique.
Et pour Willie Balton ?
Tout simplement parce que la musique était, à cette époque, souvent une très mauvaise transposition de l’américain. Claude Moine s’est bien appelé Eddy Mitchell, du nom d’une star du cinéma.
Moi, c’était plus simple : j’avais, à l’école, un copain dont le père était un soldat américain, qui était un des derniers à être encore présent dans des bases militaires en France. Il s’appelait William Balton. Alors, j’ai trafiqué un peu le truc et ça a fait « Willie Balton ».
Est-ce que le rock que vous avez connu dans les années 1960, vous le retrouvez encore aujourd’hui ?
Ah, mais je le retrouve complètement ! Si j’avais le temps, j’aurais été voir Stevie Wonder à son concert, là. Je n’ai pas du tout rompu avec cette musique qui reste dynamique, qui vit encore, même si elle prend des formes différentes. Des formes que je me garderai bien de situer pour ne pas avoir trop d’ennemis, hein [rires].
Pour moi, l’esprit de la démarche qui m’a conduit à épouser le rock’n roll dans les années 1960 reste posé. Il y avait incontestablement une volonté de transformation de la société et cela est toujours le cas aujourd’hui.
Et je souhaite aujourd’hui aux jeunes d’être habités de la même passion et de la même colère que celles que j’ai eues dans mes années de jeunesse et qui m’ont conduit à m’engager politiquement.
Vous ne portiez pas la banane par hasard ?
Si, un peu [rires]. J’avais évidemment une banane, tout le groupe avait des pantalons pattes d’éléphant, des chemises à pois et on avait le logo « Rapaces » marqué sur la batterie. On passait nos soirées, au moins une fois par semaine, au temple du rock à Paris : le Golf Drouot.
Parallèlement à cette vie de rocker communiste donc, vous entamez des études d’infirmier…
Moi, je suis d’une famille ouvrière, je vous l’ai dit, et je souhaitais être médecin. Je pense que j’aurais fait un bon médecin mais bon, dans les familles ouvrières, vous ne pouvez pas aller très loin. Il faut travailler assez tôt.
Et donc, dès que j’ai travaillé, j’ai voulu rattraper le train des études. Et j’ai fait des études d’infirmier, oui, parce que c’était les seules études où je pouvais travailler en étant payé.
Ensuite, je me suis spécialisé en psychiatrie. En fait, j’ai fait des études paramédicales pour m’orienter ensuite vers des études médicales. Mais bon, entre-temps, je suis devenu militant politique et je n’ai pas poussé les études plus loin.
En 1973, vous êtes donc un jeune militant de 27 ans et voilà que sort « L’Archipel du goulag » de l’auteur russe Alexandre Soljenitsyne, un livre qui dénonce l’enfer des camps soviétiques. Vous en pensez quoi de cette parution à ce moment-là ?
J’étais dans une période de distanciation marquée avec le modèle soviétique. Depuis 1968 et l’intervention sanglante des troupes du Pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie, je ne baigne plus dans l’esprit du communisme étatique tel qu’il se construisait à l’Est et qui avait accompagné ma jeunesse. 1968 est un tournant pour moi, il y a une prise de conscience réelle.
D’ailleurs quand mon ami Jean Ferrat est mort, il y a quelques mois [Jean Ferrat était sur la liste communiste conduite par Robert Hue aux élections européennes de 1999, ndlr], un journaliste m’a demandé de choisir un de ses textes et j’ai choisi « Camarade », cette chanson qui exprime le désarroi d’un communiste tchécoslovaque en 1968.
Donc, quand sort « L’Archipel du Goulag », je suis dans une réflexion qui me conduit à prendre mes distances avec l’URSS. Je commence à être beaucoup plus conscient de ce qu’a été la réalité dramatique du stalinisme. Je ne dis pas du communisme, mais bien du stalinisme qui est le responsable de millions de morts en Union soviétique à partir des années 1930.
A cette époque, le Parti communiste français est dirigé par Georges Marchais. Un personnage charismatique dont la voix portait le Parti. Que retenez vous de cette période du communisme français ?
C’est difficile pour moi de parler avec un regard historique sur cette question car c’est moi qui ai succédé à Georges Marchais.
M’enfin, à cette époque, il est incontestable que George Marchais a compris que le rapport aux médias était important. Marchais savait qu’il pouvait faire de l’audimat, il avait un côté attractif. (Voir l’extrait de l’émission Cartes sur table avec Geroges Marchais, Jean-Pierre Elkabbach et Alain Duhamel, le 23 mars 1981)
Dans un premier temps, ça a été politiquement constructif. A la fin des années 1970, le Parti communiste reste le parti le plus populaire de France. Mais dans un second temps, ça s’est dégradé quelque peu parce que la politique a changé.
C’est-à-dire ?
Et bien, dans les années 1980, il y a par exemple cette triste et terrible position des communistes français qui soutiennent l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques. Un élément parmi d’autres qui contribue au déclin du Parti. Ça s’est d’ailleurs traduit ensuite dans les urnes.
Mais, ce n’est pas ça qui est vraiment à l’origine du déclin du communisme. Ça, c’est bien plus complexe.
Justement, comment le communiste que vous êtes vit le déclin et la chute de l’Union soviétique en 1991 ?
On le vit avec une contradiction majeure, celle d’un sentiment de libération parce qu’on voit comment notre idéal communiste est enfermé dans un modèle hors des valeurs communistes, un modèle centralisateur, d’aliénation, de mise en cause de la personne humaine, d’étatisation outrancière, autant de choses qui sont complètement contradictoires avec les valeurs communistes telles que je les conçois.
Lesquelles ?
Et bien, des valeurs de générosité, d’égalité, de prise en compte des inégalités sociales. Donc, d’un côté il y a un terrible coup : ce qui a été porté jusque-là ne correspond pas à ce qu’on a voulu, à l’utopie qu’on a eue, au rêve d’égalité, au rêve d’émancipation. Donc, il y a une certaine souffrance par rapport à cette réalité et puis en même temps…
Vous voulez dire que vous êtes à la fois abasourdi et soulagé ?
Oui, oui, le mot est bon. Abasourdi, très choqué et en même temps, oui, libéré. J’ai apprécié ce dépassement. Mais il faut savoir que tout le monde au Parti ne semble pas l’avoir apprécié comme moi. Je me souviens qu’il a été, peut-être par mimétisme avec le passé, à la mode de porter la démarche gorbatchévienne. D’autres ont longtemps espéré que la vieille garde soviétique reprendrait la main.
Finalement, vous êtes considéré par l’opinion publique comme un communiste un peu à part, un type qui trace sa propre route même lorsqu’il se retrouve à la tête du Parti en 1994. Comment expliquez-vous cette originalité ?
Ecoutez, c’est parce que… Bon, je vais être modéré sinon ça serait présomptueux. Mon idée du communisme est intacte. Je suis communiste. Mais je suis communiste autrement.
Je n’ai jamais imaginé un seul instant devenir le successeur de Georges Marchais. Je l’ai appris par lui, sept ou huit semaines avant ma nomination. Alors que certains peut-être, et le mot « peut-être » est ironique, s’attendaient à lui succéder. Pas moi. Quand je suis nommé d’ailleurs, les agences de presse n’ont même pas de photos de moi pour illustrer leurs dépêches…
Donc, lorsque je me suis retrouvé à la tête du Parti, je n’ai pas voulu prolonger une direction et j’ai souhaité tenter une ouverture politique. Au fond de moi je pensais -je dis ça aujourd’hui avec prudence et modestie- qu’il était un peu tard, mais j’ai tenté de transformer le Parti avec une série de dispositions visant à déstaliniser, à réhabiliter des gens. Ça ne plaisait pas à tout le monde.
J’ai voulu renouer avec l’union des Forces de gauche qui avait été rompue en 1984…
Changer les choses, c’est un peu rock’n roll, comme votre jeunesse…
J’identifie le rock’n roll à une volonté de me libérer, d’être dans une dynamique nouvelle. Je suis dans le même état d’esprit quand je prends la direction du Parti. J’arrive avec l’idée de tenter de mettre en œuvre un pacte unitaire de progrès.
Et puis je suis pour inscrire le Parti dans une rupture de la pyramide. Je m’appuie moi-même sur le fait que je ne suis pas au sommet de la pyramide quand je deviens secrétaire général. Mais je me trouve face à un parti qui est encore rigide et hésitant à bien des égards.
Comment jugez-vous votre démarche politique, votre volonté de casser cette rigidité à l’aune des chiffres qui, sous votre direction, ne sont pas bons pour le Parti ? Vous faites 8% à l’élection présidentielle de 1995, 3% en 2002, et vous perdez près de 50 000 militants en moins de dix ans…
Ma démarche, elle, était extrêmement audacieuse mais peut-être était-il déjà trop tard.
Mais encore…
Et bien, la transformation du Parti communiste français, il eût été essentiel de la commencer dès 1956, au moment de la condamnation du culte de la personnalité de Staline en Union soviétique. Un moment où il fallait rompre avec le modèle soviétique.
C’est-à-dire être plus souple ?
C’est-à-dire être différent ! Mais les communistes français dont Maurice Thorez n’ont rien fait à l’époque ! Ils étaient bien trop imprégnés. Et d’ailleurs, je compare ça aujourd’hui avec ceux qui ont du mal à quitter le Parti communiste.
Robert Hue (Vincent Desailly/Snatch)
Comment expliquez-vous qu’aujourd’hui, le communisme séduit moins ?
Il séduit moins, il parle moins aux gens parce qu’il a été vécu comme quelque chose d’extrêmement liberticide ! Quelque chose de contraignant, qui n’a pas apporté de réponse et qui s’est écroulé.
Or, moi, j’identifie cet échec à autre chose que le communisme. Ce n’est pas le communisme en soi qui est un échec, mais la façon dont la pensée de Marx a été dogmatisée et étatisée. Il n’était pas inscrit dans les gènes de la pensée marxiste naissante qu’on était obligé d’aller vers cette dogmatisation !
Le problème, c’est que pour les gens, dans les livrets scolaires, le communisme ça n’est que « L’Archipel du Goulag ». On identifie le communisme uniquement à ce qui s’est effondré en 1991.
Mais, ces idées qui disent qu’on ne peut pas vivre dans une société où l’argent est roi, dans une société où les banquiers peuvent tout écraser, ces idées profondément communistes sont des idées qui sont d’actualité !
Les valeurs communistes, si elles n’apparaissent pas comme une relève politique, ont aujourd’hui encore de l’importance dans l’inconscient des gens.
Alors, comment fait-on pour représenter ces valeurs quand vous déclarez que « le Parti n’est pas réformable » ?
Je considère qu’il faut autre chose qu’un parti pour porter ces valeurs…
Comme ?
Je pense que les structures du XIXe siècle dont a hérité le Parti sont périmées. À terme, il convient de mettre en place des mouvements politiques qui soient beaucoup plus transversaux. Je pense que les jeunes susceptibles de s’engager en politique aujourd’hui n’ont pas envie d’entrer en religion…
Comme vous avez pu le faire dans les années 1960, par exemple ?
Comme moi j’ai pu le faire, oui, exactement. Je suis entré en religion par héritage culturel. Ça a été extrêmement positif, je ne renie pas ça, mais c’est fini !
Mais y-a-t-il encore aujourd’hui des partis capables de prendre des gens d’origine ouvrière pour en faire des hommes d’Etat ?
Ça n’existe plus. C’est la course aux égos, à la carrière, aux places. Ça vous donne une idée de la politique désastreuse. C’est pour ça que les gens n’ont pas envie d’entrer en politique.
Si vous avez envie de porter la politique, il faut la faire autrement. Vous n’avez aucun avenir avec la politique telle qu’elle est !
Mais, ça veut dire quoi « autrement » ?
Ça veut dire ne plus considérer que la politique doit être l’affaire d’une avant-garde et d’une élite, mais l’affaire des citoyens et des salariés eux-mêmes.
Il faut une avancée considérable de la démocratie participative, ou disons citoyenne pour ne pas faire d’analogie. Mais une démocratie citoyenne qui ne s’arrête pas aux portes de l’entreprise. Il faut une démocratie sociale réelle ! ll faut construire une nouvelle éthique de la démocratie !
Vous pensiez quoi, d’ailleurs, de l’initiative de Ségolène Royal qui plaçait, en 2007, le concept de « participation » au centre de sa campagne ?
C’est une excellente intuition. Le seul problème, c’est qu’elle ait pu être caricaturée ensuite.
Justement, les détracteurs de ce concept disent que c’est une manière un peu « bordélique » de faire de la politique…
Oui. Mais la démocratie, c’est organiser la société et apporter des réponses en tenant compte des avis de tous. Mais ce n’est pas la « chienlit » non plus comme aurait dit le Général…
Ça peut l’être, non ?
Ça peut l’être naturellement comme ça peut être le spontanéisme maoïste, ça peut être mille choses qu’on a connues dans l’histoire contemporaine.
Mais, moi, ma conception citoyenne de la France, c’est une conception où les citoyens s’auto-organisent dans leur démarche démocratique. Il faut que chacun prenne ses responsabilités en essayant de ne pas tomber dans le panneau de la simple « réunionnite ».
Ça ne sert à rien d’uniquement se réunir pour réfléchir. Il faut avoir une symbiose entre une expression profonde et spontanée des gens et une capacité à proposer des choses pour organiser la société. Là, la démocratie ne sera pas le bordel comme vous dites.
Mais vous savez, il y a aussi pire que le bordel : c’est que la société ne soit pas démocratique du tout. En l’occurrence, aujourd’hui, nous avons une société démocratique et élitiste, tenue par des gens qui ont un pouvoir presque absolu. C’est le drame pour le peuple ! Entre la recherche d’une démocratie citoyenne et sociale, équilibrée, organisée et dynamique, et puis une structure dite démocratique mais avec un pouvoir autoritaire, mon choix est fait !
Vous venez de fonder votre propre mouvement, le Mouvement unitaire progressiste (MUP). Mais si vous vous déclarez « à mille lieues » du Parti communiste, vous autorisez quand même la double adhésion à votre mouvement et au Parti ! Bizarre, non ?
Je vous explique. Entre mon départ de la tête du Parti et la création de mon mouvement, il se passe cinq ans. Non pas cinq ans de traversée du désert, mais cinq ans de deuil qui m’ont permis de dépasser mon attachement profond à la matrice communiste.
Et donc aujourd’hui, si je dis aux communistes de venir dans mon mouvement, je n’obtiens pas de résultat. On ne quitte pas le Parti comme ça. Cette double adhésion laisse donc à des hommes et des femmes le temps de se faire leur propre réflexion.
Le problème, c’est que les partis ont toujours conduit à une démarche identitaire alors que l’on peut avoir plusieurs appartenances. Il faut donc dépasser le concept de parti pour tendre vers une certaine transversalité, une horizontalité et en aucun cas une verticalité.
Les institutions de la France sont en décalage avec ça. Elles conduisent à la personnalisation, c’est un grave problème pour notre démocratie. Et c’est pour ça que je suis contre l’élection du président de la République au suffrage universel. C’est un recul considérable. Il faut mettre un terme à ce mode de scrutin mais on ne peut pas le faire ! A défaut , il faudrait alors modifier le rôle du Président.
Vous pensez que c’est faisable ?
C’est difficile, mais c’est incontournable si on ne veut pas tomber dans un monarchisme fou. Que ce soit à gauche ou à droite.
Comment fait-on justement quand on porte une idée qui est difficilement réalisable comme celle-là ?
On se bat. C’est tout le sens de proposer l’impossible pour obtenir une partie des choses. C’est toute la force d’une idée qui ne doit pas être tiède mais en décalage !
Pas pour se faire plaisir mais bien parce que c’est un besoin. Mes idées, ce sont par exemple l’établissement d’un salaire maximum ou bien la diminution de 25% du budget de notre Défense. S’il n’y a pas d’idées comme celles-là, la société n’avance pas. Il faut des idées qui bousculent !
Le rockeur que vous êtes n’abandonnera pas ?
Oh, je ne sais pas si c’est comme ça que cela doit être présenté. En tous les cas, il faut porter des idées avec force et courage. Je pense que les jeunes ne s’engageront pas en politique si on leur offre une situation de consensus comme celle que l’on connaît aujourd’hui. Il faut leur proposer des choses qui soient la marque de leur jeunesse.
Quand vous regardez la figure de la Révolution ou celles de la Résistance, ce sont tous des jeunes. Ce sont eux qui ont fait l’avenir du monde. Donc le problème aujourd’hui, c’est de trouver les moyens d’offrir à la jeunesse de se retrouver et de s’engager en politique. Si elle ne le fait, c’est un drame ! On irait tout droit vers une société qui aurait d’immenses problèmes !
Si je crée un mouvement, ce n’est pas pour moi ! Quel intérêt j’ai ? J’ai été deux fois candidat à la présidentielle, j’ai dirigé le Parti communiste, j’ai été maire pendant 32 ans, conseiller régional pendant douze ans, député de la Nation, député européen, sénateur. Je n’ai plus qu’un mandat aujourd’hui, et c’est un signe que je donne.
Mon objectif c’est, grâce à une structure, de permettre à des jeunes de s’engager en politique avec la même passion que celle qui m’a tant animé dans mes années de jeune rockeur que de jeune communiste. Moi, je n’attends pas de savoir si le téléphone va sonner en 2012.
Mais vous pensez que la jeune génération est capable d’épouser une nouvelle formule de la politique ?
Oui, je suis très confiant. Enfin, pour le moment, les jeunes ne votent pas. Bon. Mais à ceux qui expliquent cela en disant que les jeunes ont juste la tête en l’air, je leur réponds que c’est de la connerie !
Il faut que les mouvements soient utiles aux jeunes pour que ces derniers se bougent. Si mon mouvement n’est pas utile, il ne fonctionnera pas.
Et il faut arrêter avec toutes ces organisations de jeunes dans les partis ! Tout ça est calqué sur les formations-mères. Il faut trouver quelque chose de propre à la démarche des jeunes.
Oui, mais si rien n’est encadré…
Ah ! Mais vous semblez attaché au cadre vous ! Vous êtes pire que moi, vous avez un héritage que je n’ai pas [rires].
Ce que vous appelez l’encadrement, pour moi, ce n’est pas de l’encadrement. C’est un minimum d’organisation de la société. Mais il faut tout de même un peu d’incohérence pour faire apparaître des situations malignes, vous savez.
Pour montrer aux jeunes que vous êtes encore présent sur la scène politique, vous pouvez compter sur votre look inimitable. Vous êtes sûrement la barbe la plus célèbre de France avec celle de Sébastien Chabal. C’est un style que vous entretenez ?
Vous savez, le jour où je n’ai plus été à la tête de mon groupe de rock, je me suis laissé pousser la barbe [rires]. J’ai toujours eu la barbe depuis mes 17 ans, c’est vieux, hein !
Bon, y a-t-il un mimétisme avec les révolutionnaires du XIXe et du XXe siècle ? Peut-être…
Après tout, vous avez la barbe aussi et on ne vous appelle pas « huiste » pour autant. En tout cas, ma barbe, je ne peux pas la couper, c’est évident.
Jamais de moustache ?
Ça m’est arrivé mais pas souvent. Cette barbe, je l’ai toujours eue comme ça. Ça m’a permis d’avoir toutes les caricatures du monde. Des dizaines, des centaines, des milliers ! C’est peut-être ce qui explique ma petite notoriété. Mais, je m’en fous.
Cette apparence de personnage qui a déjà bien vécu, qui semble de bon conseil nous fait penser à Prof dans « Blanche-Neige et les sept nains »…
Oh, vous n’êtes pas le premier [rires]. Navré, hein ! Mais vous savez, c’est un paradoxe, cette gueule, parce que je combats cette société qui personnalise tout.
Or, cette barbe me personnalise. Bon, l’essentiel, c’est d’avoir une profondeur politique derrière la barbe. Il se trouve que j’ai des idées et qu’elles correspondent bien à mon image de gros barbu sympa. En psychiatrie, on appellerait ça la morphopsychologie.
► L’interview de Robert Hue est extraite du deuxième numéro de Snatch Magazine, en kiosque dans toute la France ce mercredi -164p.- 3,9 €
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En partenariat avec Snatch Magazine