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Situation au Cameroun – Sébastien Nadot : « On ne peut pas rester silencieux après tant de massacres »

Une interview de Sébastien NADOT, député MdP de Haute-Garonne, membre de la commission des affaires étrangères, sur la situation au Cameroun anglophone. Par Joseph Essama, publiée le 7 février 2021 sur le site News du Camer.

Vous êtes très critique de la situation de crise qui prévaut au Cameroun anglophone, qu’est ce qui explique votre  intérêt particulier pour cette crise ?

Je suis parlementaire français. En plus d’être Législateur, la Constitution de mon pays me confère un rôle précis : contrôler l’action du gouvernement. Comme je suis à la Commission des affaires étrangères, je prête une attention particulière à la politique menée par le ministre en charge de l’Europe et des Affaires étrangères. Par ailleurs, j’ai été interpelé à plusieurs reprises par des ressortissants camerounais m’alertant sur la situation déplorable en matière de droits de l’homme au Cameroun. Vous le savez, j’ai eu de nombreux échanges avec Amadou Vamoulké, ancien directeur de la CRTV, lequel est toujours emprisonné, au mépris de toutes considérations de justice, de dignité et d’humanité. Les prisonniers d’opinions et les journalistes sont particulièrement malmenés au Cameroun. Maurice Kamto en a été victime et certains leaders politiques anglophones également. Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires étrangères français, s’est rendu à plusieurs reprises au Cameroun, mais il est dans le déni, comme les autorités camerounaises, quant à reconnaître qu’il y a un conflit extrêmement inquiétant et violent avec le Cameroun anglophone. Après les massacres de N’Garbuh, de Kumba et plus récemment de Mautu, on ne peut rester silencieux quand on est responsable politique d’un pays dont la Constitution est un héritage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Or, si la Constitution est un guide pour chaque citoyen français, elle l’est également pour le Législateur que je suis et devrait l’être encore davantage pour le ministre des Affaires étrangères. Comme le pouvoir exécutif français ne fait pas à, mon sens son, devoir vis-à-vis la crise anglophone, j’estime remplir le mien en informant mes concitoyens et aussi en réclamant des comptes à la diplomatie française, trop molle et silencieuse sur ce qui est, quel que soit sa dénomination, un désastre humain.

Déjà près de 4 ans que ce conflit dure et selon votre analyse, on ne voit ni le Cameroun, ni la communauté internationale résolument engagés pour trouver des solutions concrètes pour mettre fin à  cette crise. Qu’est ce qui vous fait dire cela ?

Je ne crois pas que ce soit mon rôle de juger des autorités camerounaises. Je suis parlementaire français. Je peux seulement dire que je mesure comme tout Camerounais que la situation est déplorable et parait s’envenimer un peu plus chaque jour avec des conséquences terribles. Les autorités camerounaises semblent paralysées par la guerre de succession qui fait rage et, dans l’attente d’un successeur au Président Biya, aucune solution ne semble pouvoir venir de l’intérieur. Quant à la communauté internationale, on a l’impression qu’elle assiste à la dégradation de la situation comme si elle était téléspectatrice d’une mauvaise série à la télévision. C’est intolérable !

Chaque nouvelle session du Conseil de Sécurité des Nations unies est un affront à sa charte fondatrice. Le contenu de la charte de San Francisco a été oublié par le Cameroun, qui en est signataire, mais aussi par la communauté internationale qui promet assistance dans le verbe sans lendemain pour le concrétiser.

Vous êtes également très critique envers la diplomatie française dans ce conflit. Que lui reprochez-vous ? Et que peut faire la France pour aider le Cameroun à  mettre fin à  cette situation ?

En décembre 2019, le ministre des Affaires étrangères Le Drian est allé au Cameroun plusieurs jours. Il a sciemment évité le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, dans ses déplacements comme dans ses rencontres. Tout un symbole… À son retour, je l’ai interpelé lors d’une séance de questions au gouvernement dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale pour savoir ce que faisait la France afin de promouvoir les droits de l’homme au Cameroun. Compte tenu du passé colonial de la France, le minimum serait d’avoir une attention particulière pour les gens des pays où la France doit assumer une histoire faite de violence d’État. La réponse du ministre, uniquement sous forme de langue de bois, était inacceptable. Il y avait beaucoup de cynisme et de mépris dans sa manière de dire qu’en la matière les Camerounais sont souverains et que la France ne doit pas intervenir. Ce mépris, il est le même pour les Camerounais dont manifestement le sort n’intéresse pas ce ministre et pour les Français qui sont peu informés de la situation et auraient mérité des explications plutôt que ce jeu de faux-semblants destiné à éviter de dire que la France n’est pas la patrie des droits de l’homme partout et à tous moments.

Et puis il y a le massacre de N’garbuh. Ce n’est pas la première atrocité commise dans la région mais très vite, à l’évidence, on peut comprendre que, par-delà ce massacre, un système inquiétant est en train de se mettre en place, dont il faut au plus vite se débarrasser, enrayer sa « mécanique ». Pour cela, une enquête internationale était indispensable. Mais comment demander aux autorités camerounaises de trouver les responsables et faire justice, quand le bras armé de ces mêmes autorités est pris la main dans le sac ? La France a manqué à son devoir précisément à ce moment-là. Elle aurait dû porter une demande d’enquête internationale aux Nations unies. Pire, alors que la France présidait le Conseil de sécurité des Nations unies en juin-juillet 2020, une réunion du Conseil de sécurité a été l’occasion pour 7 ou 8 délégations de souligner leur inquiétude quant à la situation dans la zone anglophone au Cameroun. Pas un seul mot de la France. Honteux !

Les initiatives personnelles que vous avez menées en faveur de la résolution de ce conflit semblent n’avoir pas eu assez d’échos. Avez- vous pensé  à porter plus haut la crise en France et à  l’international ?

Je reconnais que mes initiatives ne sont pas allées assez vite pour préserver du malheur les plus récentes victimes. Mais, dès la fin de l’année 2019, voyant que le pouvoir exécutif ne voulait pas jouer le rôle qui devrait être le sien, je me suis tourné vers mes homologues dans d’autres pays.

Voilà plus d’un an que je travaille avec des parlementaires américains, allemands ou britanniques. Personne à lui seul ne détient la clef mais en travaillant également avec de nombreux représentants de la diaspora camerounaise, francophone ou anglophone, installés aux États-Unis, Canada, Suisse, en Europe, et bien sûr, en échangeant avec des Camerounais à Yaoundé, Douala ou ailleurs de bonne volonté, un front commun d’apaisement se dessine, pour demander, sinon imposer, un processus de dialogue réel et pluriel. Mais rien n’est acquis encore.

Selon vous et à l’heure actuelle où  on compte près de 4000 morts, qu’elle peut être la solution pour sortir de crise ?

Je pense que plusieurs pays de la communauté internationale doivent « mouiller la chemise ». Le Français que je suis est pleinement conscient que si les Britanniques, les Américains et les Canadiens n’étaient pas venus en aide à la France dans ses heures les plus sombres, point de France libre en 1945 ! Il n’y a pas à rougir ou à butter sur une aide extérieure. Il faut la circonscrire aux nécessités : la sortie de crise passe par l’organisation d’une table ronde réunissant des représentants de tous les acteurs du Cameroun pour inventer son futur. Les États-Unis comme la France ne doivent pas dessiner l’avenir du Cameroun, mais ils doivent rendre possible cet exercice entre camerounais. L’exercice n’est pas simple puisqu’il faudra répondre en même temps aux problèmes institutionnels et démocratiques jamais réglés dans un contexte économique, sanitaire et social extrêmement dégradé.

Ces derniers jours doivent se comprendre comme une bonne nouvelle : il y a d’abord cette résolution du Sénat américain du 1er janvier 2021 réclamant aux différentes parties camerounaises de cesser toute action violente et demandant nommément à la France de s’impliquer dans la défense des droits de l’homme au Cameroun. Il y a ensuite les propos d’Antony Blinken, le nouveau Secrétaire d’état du Président Joe Biden, faisant de la situation au Cameroun l’une de ses trois priorités en Afrique avec l’Éthiopie et l’Ouganda. Ce réveil de la diplomatie américaine ne manquera pas de stimuler la diplomatie française.

Interview réalisée par Joseph Essama

« La réponse du ministre, uniquement sous forme de langue de bois, était inacceptable. Il y avait beaucoup de cynisme et de mépris dans sa manière de dire qu’en la matière les Camerounais sont souverains et que la France ne doit pas intervenir »

Joseph Essama

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