Passant l’autre jour devant un chantier de travaux publics, je fus frappé par l’inscription portée sur le panneau annonçant la « déconstruction d’un immeuble ».
Dé-construction…Je ne voudrais pas offenser la mémoire de Derrida en utilisant, un peu déformé, ce terme philosophique pour la définition plus prosaïque d’une démarche politique. Il me semble pourtant que, pris au sens littéral, il traduit assez bien l’ambition des promoteurs du Mouvement des Progressistes au moment d’insuffler à celui-ci un nouvel élan. Il ne s’agit pas seulement de critiquer certaines pratiques actuelles… Mais de mener une action positive pour redonner à l’édifice de notre démocratie son efficacité, et sa vitalité.
Qu’il y ait des murs à abattre, nul n’en disconviendra s’il considère objectivement le niveau navrant du débat politique en France.
Ainsi sommes-nous les témoins attristés de l’abêtissement général auquel le contraint la publication quotidienne de sondages en tous genres. On sonde nos compatriotes, qui n’en peuvent mais, sur les sujets les plus divers. On demande leur pronostic sur des élections qui n’auront lieu que dans deux ou trois ans, et dont on ne connaît pas les acteurs finaux. Le sondage est devenu l’alpha et l’oméga de la réflexion politique, en une sorte de Café du Commerce permanent où des chiffres plus ou moins bien interprétés remplacent l’exposé des arguments ou des programmes, et autorisent des jugements définitifs…jusqu’à la prochaine livraison. Notre devoir est de ne plus contribuer à la diffusion de ces billevesées de comptoir.
Ainsi, dans le même ordre d’idées, devons-nous subir, sur les télévisions d’information continue, les approximations de journalistes soi disant « experts » qui, la plupart du temps, n’ont pas vraiment travaillé les dossiers dont ils parlent complaisamment, posent des questions d’une affligeante médiocrité, et étalent de façon répétitive une suffisance qui n’a d’égale que leur insuffisance. Et que dire de ces débats indigestes qui tournent en boucle, et souvent à vide, dans le seul but de « meubler » l’antenne, en attendant que l’évènement attendu ne se produise…ou que ne vienne le démenti. Pourquoi se croire obligé d’y participer ?
Mais ce ne sont là, après tout, que scories médiatiques. Autrement plus grave est le spectacle que donne la société française elle-même, où les inégalités les plus choquantes paralysent le système économique et social. Ainsi devons nous dénoncer inlassablement les écarts de salaire dont rien ne justifie l’ampleur. De telles inégalités deviennent littéralement insupportables. Elles rendent impossible la recherche d’un consensus collectif, impossible le développement d’un raisonnement économique acceptable par tous. Et certains patrons ajoutent à ce qui constitue un véritable scandale français, les retraites chapeaux, ces invraisemblables indemnités de départ dont chaque euro est une injure pour le simple salarié, celui qui n’a que sa feuille de paie pour vivre, ou survivre. La « dé-construction » de la société française passe évidemment par la correction déterminée de cette injustice fondamentale.
Mais, je le répète, « dé-construire », c’est aussi et surtout proposer. Et c‘est particulièrement vrai dans le domaine de la pratique politique. Le Mouvement des Progressistes doit être un laboratoire d’idées, neuves si possible, hardies en tout cas, affranchies des habitudes, des intérêts particuliers, ou des corporatismes. Voici quelques pistes que je crois « constructives ».
Première piste, en finir avec la professionnalisation de l’activité politique. Nos dirigeants ne sont plus les représentants temporaires et périodiquement renouvelés de la diversité sociale française. Cette dérive est relativement récente, en tout cas les Républiques précédentes avaient su mieux y échapper. Si le nombre d’ouvriers et d’employés y était encore dramatiquement insuffisant, les Assemblées n’en comportaient pas moins nombre d’élus venant des corps de métier les plus divers. Aujourd’hui, les fonctionnaires sont en majorité, et beaucoup d’entre eux sont passés directement, ou quasi directement, de l’ENA à la députation, ou à un cabinet ministériel. Certains, qui n’ont pas eu le malheur de faire l’ENA, se vouent quand même à une carrière d’apparatchik. Et les uns et les autres ne songent souvent qu’à perpétuer leur sinécure personnelle. Beaucoup entrent en politique à 25 ou 30 ans, et n’en sortent qu’à la retraite….
La conséquence est désastreuse : ces femmes et ces hommes qui dirigent le pays, si intelligents qu’ils puissent être, n’ont aucune expérience, aucune connaissance du monde réel. Il faut donc absolument élargir le recrutement des élus, et, pour y parvenir, limiter le nombre et la durée des mandats que chacun peut détenir. Je ferai à cet égard une suggestion : accorder à tout citoyen désireux de participer à la « chose publique », un « crédit » de temps maximum pour l’exercice de mandats électifs tout au long de sa vie. Disons quinze ans, ce qui correspondrait à trois mandats, étant entendu qu’une interruption entre deux mandats ne remettrait pas le compteur à zéro. Il faudrait parallèlement interdire de sauter d’un mandat à un autre, au gré des élections.
Autre piste de « dé-construction », le fonctionnement de nos institutions au sommet de l’Etat. On voit bien leur faiblesse actuelle, causée par la malheureuse décision du couple Chirac-Jospin de réduire le mandat présidentiel à cinq ans, avec pour conséquence la concomitance des élections à l’Elysée et à l’Assemblée Nationale. Le régime, de plus en plus présidentiel, n’est parlementaire que dans les textes. Nous avons un Président doté du pouvoir quasi absolu, qui, cinq ans durant, n’est, de fait, plus responsable devant le peuple, sauf à provoquer des referendums éminemment périlleux. La solution serait de revenir à la lettre de la Constitution de 1958, modifiée 1962, qui prévoyait un Président élu pour sept ans, mais arbitre, laissant au gouvernement la conduite des affaires du pays. Encore conviendrait-il de préciser que ce mandat ne pourrait être renouvelé.
La façon de gouverner devrait elle aussi être « dé-construite ». La peur de braquer l’électorat, ou une partie de celui-ci, est trop souvent ce qui la caractérise. Je citerai comme exemples le maintien d’avantages particuliers déraisonnables à telle ou telle profession, ou le recul devant des mouvements corporatistes au détriment de l’intérêt national. Inversement, l’interdiction d’ouverture des magasins le dimanche, imposée par les syndicats, n’a aucune justification sérieuse. Et que dire de ce principe de précaution, hâtivement inscrit dans la Constitution pour satisfaire certains lobbies, et dont les effets paralysants sont flagrants.
Enfin, n’en déplaise aux Ecologistes officiels, ceux de l’EELV, l’énergie nucléaire est et demeurera sans doute encore longtemps un atout majeur pour notre pays. Quant à l’anathème qu’ils jettent sur le gaz de schiste, il constitue une véritable absurdité économique. A ce sujet, quel dommage de laisser à Nicolas Sarkozy le bénéfice d’une attitude qui relève tout simplement du bon sens….
*(…) Il y a bien sûr énormément d’autres choses à faire pour mener à bien cette nécessaire « dé-construction ». Je n’ai cité que quelques exemples. Ils ont pu déjà, du moins en ai-je la conviction, interpeller le lecteur. Peut-être l’ont-ils choqué parfois. Mais si le Mouvement des Progressistes devait, comme d’autres, parler la langue de bois, il n’aurait plus de raison d’être.
Notre parti est pris : le « politiquement correct », ce n’est pas pour nous. Ce ne le sera jamais.
*Dans cette partie de sa tribune, notre ami Pierre Weill consacre dans le même esprit un long passage aux problèmes du monde. Là-encore, son parti pris est sans concession ni langue de bois. En accord avec lui, cette partie de sa tribune s’inscrira prochainement sur notre site dans le cadre d’un forum consacré plus largement aux questions internationales.
Pierre Weill, créateur et ancien président du groupe Sofres, actuellement directeur de la publication de Régions magazine, est membre fondateur du mouvement des Progressistes.
6 réponses
Une analyse pour une « déconstruction » constructive…
il faut interdire de tout mandat électif les lauréats de grandes écoles ENA polytechnique !ils doivent être remis à leur place c est a dire aux services de la communauté comme haut fonctionnaire cela évitera toute les mauvaises tentations et copinage !assainir la vie politique commence par la !ils doivent être au service de la communauté de façon consultatif et non dans l exécutif !
J’espère que ce qu’écrit Pierre Weill sera suivi d’effets et que ce nouveau mouvement ne fera pas comme les autres, reproduire un système d’élus professionnels qui ne lâchent jamais leur mandat pour leur seul intérêt personnel. Par contre, concernant le nucléaire, le gaz de Schiste, je ne suis pas convaincue…
Une bonne intervention de Mr Weill, une analyse claire et précise, c’est ce que je pense depuis un moment, le temps des partis est révolu, il faut inventer une autre gouvernance en se constituant en collectifs citoyens… Reprendre nos vies en mains! et pourquoi pas avec le mouvement des Progressistes
…« Pour contrebalancer la rigidité et la vulnérabilité liées à une trop grande prédominance du nucléaire en France, la CFDT a toujours milité pour un engagement beaucoup plus fort dans le développement des énergies renouvelables.
En ce début de XXIème siècle la garantie des diverses sources d’approvisionnement en énergie reste un élément-clé dans les choix politiques. Mais l’analyse stratégique a désormais dépassé l’enjeu d’indépendance nationale ; les choix sont maintenant concertés au niveau européen »…
Jean-Pierre Bompard, économiste, ancien directeur de laboratoire à l’INRA, ex-délégué au développement durable CFDT, a été négociateur des « Grenelle » de l’environnement et de la mer.
http://alternatives-economiques.fr/blogs/bompard/archives/52
Le divorce, les malentendus, les hésitations entre la sphère politico-économico-technocratique et les citoyens provoquent necessairement une de-construction de la politique.
Revitaliser la vie politique permettrait une nouvelle conception et application des rapports entre le peuple et le pouvoirà mon humble avis.