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Pour l’instauration d’un revenu maximum

tho « Si un État veut éviter (…) la désintégration civile (…), il ne faut pas permettre à la pauvreté et à la richesse extrêmes de se développer dans aucune partie du corps civil, parce que cela conduit au désastre. C’est pourquoi le législateur doit établir maintenant quelles sont les limites acceptables à la richesse et à la pauvreté. »

Platon, Les Lois

Au cours de la conférence de presse annonçant la création du MUP, Robert Hue a présenté la réduction massive des inégalités de salaires comme l’une des trois réformes essentielles à lancer en urgence. Il avait déjà alerté le Premier ministre sur ce problème dans une lettre du 28 juillet 2009 et lui avait rappelé qu’il disposait de l’outil adéquat pour y remédier : l’impôt.

La crise économique et financière actuelle a eu le mérite de replacer dans la lumière les très hautes rémunérations. À la différence des scandales précédents (parachutes dorés de MM. Messier, Schweitzer, Zacharias…), le gouvernement a manifesté la volonté d’encadrer ces rétributions. La « taxe exceptionnelle sur les opérateurs de marché » entrera en vigueur en avril, mais ses effets resteront infimes, puisqu’elle ne concerne que les primes supérieures à 27500 euros distribuées dans les entreprises aidées par la puissance publique, et uniquement au titre de l’exercice 2009. Sur les 360 millions d’euros qu’elle rapportera selon Christine Lagarde, 270 alimenteront le fond de garantie des dépôts. L’État ne récupèrera, au final, que 90 millions, soit… 1,3 % des bénéfices réalisés par les quatre premières banques sur les neuf premiers mois de 2009. Le Medef a lui aussi inscrit des « recommandations sur la rémunération des dirigeants » dans son code d’éthique.

Ces mesures cosmétiques ont été adoptées au nom de la fameuse « moralisation » du capitalisme, pour tenter d’amadouer une opinion révoltée par le versement à certains employés du secteur financier de bonus du même ordre qu’avant la crise. Poudre aux yeux certes, mais que la possibilité de s’enrichir au-delà de toute mesure au nom de la sacro-sainte « liberté d’entreprendre » et de la récompense du risque ait été, ne serait-ce que très légèrement, remise en cause par ses thuriféraires habituels, est révélateur. Le malaise qu’a perçu le pouvoir ne fait que s’accroître. Les conseillers de Nicolas Sarkozy attribuent son décrochage dans les sondages de popularité à l’annonce de la taxe carbone, à laquelle a succédé celle de la fiscalisation des indemnités journalières d’accident du travail. Les citoyens sont prêts à faire des efforts, pourvu que ceux-ci soient équitablement répartis. Or ils se rendent bien compte que le fardeau pèse avant tout sur les classes populaires et moyennes. Désormais, ils n’attendent plus que seule une lutte contre les « abus » soit menée, mais aspirent à davantage de justice sociale.

Car ces vœux pieux ne s’attardent jamais sur le véritable enjeu de la limitation des hauts revenus : la réduction des inégalités. Depuis les années 70, la part des revenus du travail dans le PIB a perdu 12 %, directement transférés à ceux du capital. Et comme le rappelle justement une tribune publiée par des économistes dans l’Humanité du 11 avril 2009, « Entre 2000 et 2007, les profits des entreprises du CAC 40 ont progressé de 97 %, les dividendes qu’elles ont distribués ont augmenté de 255 % tandis que l’investissement reculait de 23 %… En 2007, les dirigeants des entreprises du CAC 40 ont gagné, en moyenne, 6,2 millions d’euros chacun. De 2000 à 2006, les revenus dits de “capitaux mobiliers” (dividendes d’actions, revenus d’obligations…) déclarés à l’impôt sur le revenu sont passés de 14,5 milliards d’euros à 18,8 milliards d’euros, soit une progression de 29,6 %. Les gains en plus-values ont également progressé de 68 % en quatre ans. Entre 1998 et 2005, selon les travaux de l’économiste Camille Landais, 0,1 % des foyers les plus riches ont vu leur revenu progresser de 32 %, alors que, pour 90 % des foyers, la progression globale n’était que de 4,6 %. »

Le déséquilibre est devenu insoutenable, non pas moralement comme certains aimeraient l’y circonscrire, mais, pour commencer, économiquement. L’accroissement formidable des très hauts revenus ces vingt dernières années, et corrélativement, la baisse du pouvoir d’achat de la majorité, ont nourri la spéculation financière et le surendettement, terreaux de la crise actuelle comme l’a rappelé le commissaire européen chargé de l’Emploi et des affaires sociales, Joaquin Almunia. Le système financier fonctionne en effet de telle manière qu’un dirigeant ou un trader qui prend des risques inconsidérés empoche une commission-jackpot en cas de succès, mais n’encourt qu’une faible sanction s’il manque son pari. C’est alors l’entreprise qui paie les pots cassés, ou le contribuable. Ces rétributions illimitées contribuent à déconnecter la prise de décisions financières de l’économie réelle.

Socialement ensuite, de tels écarts génèrent des tensions insolubles. Depuis plusieurs années déjà, la TVA fournit le plus gros volume des recettes fiscales. En 2008, il s’élevait à 131,7 milliards d’euros (50,6 % des recettes fiscales brutes de l’État), tandis que ceux de l’impôt sur le revenu et sur les sociétés ne représentaient que 51,2 et 15,6 milliards d’euros (respectivement 16,8 % et 4,5 % des recettes fiscales brutes). Le Budget de l’État repose donc bien avant tout sur les classes moyennes et populaires. Or comment justifier aux yeux du contribuable que son argent serve à remettre à flots un navire qu’il n’a en aucune façon contribué à faire sombrer ? Car c’est bien là la réalité des différents plans de relance : la majeure partie des citoyens paye pour une crise dont elle n’est pas responsable. Énième illustration d’un vieux principe du capitalisme : la privatisation des profits et la socialisation des pertes… Ce sauvetage sans condition est d’autant moins justifiable que d’autres secteurs, en particulier les services publics de la santé et de l’éducation, qui profitent à l’ensemble de la collectivité, sont systématiquement ponctionnés et leurs personnels réduits depuis huit ans. On pourrait multiplier les exemples. Quelle infime part du plan de sauvetage des banques aurait ainsi suffi à éviter la mort de 353 SDF l’année dernière ?

Force est de constater que la priorité ne réside toujours pas dans le mieux-vivre des habitants de ce pays, mais dans la marche subventionnée de son économie, laissée ensuite à elle-même pour le plus grand profit de quelques rentiers. C’est donc toute l’échelle des revenus (y compris patrimoniaux) qui doit être revue, en commençant par lui établir, de même qu’elle repose sur un plancher, un plafond. Aucune compétence, aucun talent, ne justifie d’être payé 1600 SMIC par an. Plus de cohésion sociale passe par une fourchette plus ramassée. Henry Ford lui-même, qu’on ne peut soupçonner de philanthropie, considérait qu’il ne devait pas gagner 40 fois plus que son ouvrier le moins payé. George Orwell, qui avait expérimenté l’égalité de salaire du soldat au général dans les milices républicaines espagnoles, préconisait un écart maximal de 1 à 10. Robert Hue s’est prononcé pour un rapport de 1 à 50.

Cette réévaluation des revenus présenterait de surcroît l’avantage de freiner l’hyperconsommation et de préparer le passage obligé à une société de la sobriété matérielle. Pour le moment par exemple, 5 % seulement des Français sont responsables de 50 % des émissions de gaz à effet de serre pollutions dues aux déplacements touristiques. Or les modes de vie des plus riches, constamment montrés en exemple par les medias et la publicité, produisent un effet de mimétisme. Gare à l’emballement…

Les modalités d’application et l’échelonnement de cette nouvelle hiérarchie des revenus doivent bien entendu être débattus. L’économiste Thomas Piketty estime ainsi illusoire de fixer un plafond aux salaires, compte tenu des multiples possibilités qui existeraient pour le contourner (sociétés écrans, rémunération de conseils…), et se prononce pour le rétablissement d’une réelle progressivité de l’impôt. Les États-Unis ont longtemps connu un taux d’imposition de 90 % pour les très hauts revenus à partir de 1941. Un taux marginal supérieur à 80 % permettrait de relever les minima sociaux et le salaire de base, qui ne saurait être inférieur à 2000 euros mensuels. Une politique fiscale plus juste est tout à fait possible. Elle existait encore il n’y a pas si longtemps, sans pour autant freiner l’économie. Et même Barack Obama a instauré une rémunération maximale pour les dirigeants des entreprises aidées par le Trésor américain.

Le combat pour l’instauration d’un revenu maximum pourrait enfin être l’occasion d’une refonte globale de l’impôt, fondement de la République. Les nouvelles recettes engrangées permettraient de réduire les impôts indirects, foncièrement injustes puisqu’ils pèsent indifféremment sur les bas et les hauts salaires. Leur part n’a cessé d’augmenter depuis les années 80, là où le taux d’imposition des sociétés est passé de 50 % en 1985 à 33,33 % aujourd’hui. Il n’est même que de 8 % pour les entreprises du CAC 40 en raison de leurs activités dans les paradis fiscaux, soit un manque à gagner de huit milliards d’euros pour l’État !

Cette revendication de justice sociale ne manquerait pas d’être populaire et constituerait une mesure-phare pour des listes d’union de la gauche lors de futures échéances électorales. Qui serait audible en prétendant avoir besoin de plus de 40, et même de 20000 euros par mois pour bien vivre ? Et comme le remarque Patrick Viveret, conseiller référendaire à la Cour des comptes, « le revenu est déjà plafonné pour l’immense majorité de la population. » Aux citoyens d’étendre ce régime à tous.

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