Un contre-pouvoir aux agences de notation ?

SebastienChinsky_01_2014_Copier La situation économique de la Grèce, de l’Irlande, sans doute de l’Espagne et du Portugal, place l’Europe et la France face à des responsabilités inédites : celle de trouver un contre-pouvoir efficace aux agences de notation sous peine d’être contraintes de mener une politique de « rigueur », toujours synonyme de réduction des dépenses sociales et de service public de l’État.

L’Espagne, l’Irlande, le Portugal et surtout la Grèce se voient imposer une politique budgétaire commune. Le non-remplacement d’au moins un fonctionnaire sur deux dans chacun de ces pays (comme dans d’autres) fait porter le poids de la crise financière sur les épaules d’un service public qui coûterait trop cher. La question des retraites est aussi posée : la Grèce discute de l’idée d’un passage à 67 ans pour une retraite pleine (4 ans de plus qu’en France). Les aides sociales sont gelées, voire diminuées en Irlande. Le taux de chômage y atteint 12 %, ce qui laisse entrevoir la réalité sociale de l’île. Baisser les aides sociales et les allocations de sécurité sociale en période de crise signifie accepter de laisser une frange importante de la population basculer dans la misère

Parallèlement les gouvernements estiment que le déficit doit être comblé par l’augmentation de taxes visant leur population : taxes à la consommation, sur le tabac, augmentation des impôts sur le revenu (Espagne). Il est notable qu’aucun gouvernement européen n’envisage de combler une partie du déficit au moyen de taxes sur les produits financiers ou sur les entreprises (ne serait-ce que par la diminution de certaines exonérations). L’Irlande s’enorgueillit même de maintenir son taux d’imposition des sociétés à 12,5 % (un des plus bas d’Europe). Des États en difficulté appliquent des solutions économiques identiques. Les pays dégradés par les agences de notation partagent certes une situation économique et un équilibre budgétaire précaires, mais ne peuvent se résumer aux problèmes qu’ils rencontrent. Leur histoire et leur organisation propres différencient leurs situations. Alors pourquoi une unique politique économique mise en place relativement uniformément dans chacun d’entre eux ?

Nous nous trouvons en fait pris en étau entre un libéralisme idéologique qui s’est imposé chez la classe dirigeante et sa main armée, les banquiers et divers organismes de crédit. Les uns mènent une politique aux services des possédants au nom de la croyance que l’économie est mue par les puissants, les possesseurs de capitaux. Les autres ne conçoivent plus leur rôle comme une mission d’intérêt général mais comme un concours de courbes statistiques visant à réduire les coûts de l’administration. Dans ces conditions, comment croire encore à un pacte républicain qui, par nature, ne peut exister que lorsque la base de la société travaille conjointement avec les dirigeants pour le progrès social et économique. La difficulté de la sauvegarde d’un pacte social tient à l’abandon par les hommes politiques de leur rôle historique. L’homme politique, de gauche comme de droite, est passé de la place de porteur d’idées, d’homme de principes, à celui de simple comptable gérant l’administration dont il a la charge. Cette mutation politique a pour conséquence directe de limiter drastiquement sa capacité d’imagination. L’homme politique est dès lors prisonnier des lois du marché et ne cherche de solution que dans le respect de l’orthodoxie libérale.

L’École de Palo alto, spécialisée dans les sciences humaines, travaille sur la question du changement. Elle montre qu’il ne suffit pas de changer de comportement pour réaliser un changement réel de situation. Seul un changement dans les règles de comportement ouvre la possibilité d’un changement créant une situation nouvelle. Tant que les hommes politiques ne toucheront pas aux règles mêmes de l’économie, nous resterons confrontés à des situations de crise finalement assez semblables, et ce quelque soit le gouvernement : la politique de rigueur est menée à gauche comme à droite. La Grèce est ainsi sommée d’appliquer une politique de rigueur de façon à masquer la flambée des taux d’intérêt que lui imposent ses créanciers. Ce faisant, le libéralisme s’offre des salariés à bas coût (gel des salaires) qui seront sans doute obligés d’occuper des emplois complémentaires durant leur retraite… tout en augmentant (grâce aux taux d’intérêt) la somme d’argent que le peuple devra verser au créancier : le peuple perd par ko face au capitalisme. Notons qu’imposer une politique de rigueur sociale n’évite en rien à un État la sanction des agences : l’Espagne a été dégradée le 29 avril 2011 après l’annonce de son nouveau plan de rigueur.

C’est pourquoi il nous faut reconnaître que nous sommes aujourd’hui en guerre pour notre survie, en guerre pour la survie de notre système de protection sociale, c’est-à-dire en guerre pour la sauvegarde de nos valeurs républicaines. La fraternité, pour désuet que soit ce terme, est une illustration de ce qu’est la nation pour la France. La nation se caractérise par une population qui affirme son vouloir vivre ensemble dans un pacte de solidarité républicaine. Il ne saurait y avoir de nation dans notre pays si chacun en venait à refuser le principe même de solidarité. En ce sens tout politicien pliant sous la pression financière et abandonnant la protection sociale au démantèlement pourrait avoir à répondre d’une forme de trahison devant un tribunal ad hoc. Il peut sembler abusif d’évoquer les événements actuels par un terme militaire. Mais si nous n’établissons pas un contre-pouvoir efficace au fonctionnement du marché maintenant, nous serons réduits à n’être que des États fantoches dans les mains d’un système qui ne se préoccupe ni de morale, ni de solidarité et encore moins de démocratie. La question n’est plus de savoir si l’on est radical ou non, mais si nous choisissons de donner des moyens aux politiques pour ne pas les voir débordés par le pouvoir économique. Il s’agit de promouvoir un nouveau système républicain qui se caractérise par l’équilibre des quatre pouvoirs : économique, législatif, exécutif et judiciaire. En l’absence d’équilibre entre les pouvoirs, nous le savons, l’exercice même de la démocratie est impossible. Il est urgent d’ouvrir un débat sur les moyens d’établir une démocratie qui équilibre les pouvoirs qui la composent.

Tentons en conclusion de tirer quelques leçons pour esquisser des solutions.

1) prêter de l’argent à un État est un commerce rentable (même quand l’État en question n’est pas en capacité de rembourser)

Comment expliquer, sinon, que des banques ou des institutions financières continuent de volontairement leur prêter de l’argent qu’alors que chaque année la plupart des États alourdissent leur dette ? L’espoir d’être remboursé et de toucher des intérêts est trop irréaliste pour permettre de rendre compte de cet état de fait. La rentabilité de ce type de prêt tient d’une part à la rente que représente le versement des intérêts de la dette, mais aussi aux contraintes sur les politiques publiques. Ces contraintes leur permettent de générer une plus-value substantielle. Prêter de l’argent aux États ne se fait donc pas à perte. Les créanciers n’ont pas été lésés depuis la contraction de la dette. D’autre part les intérêts que nous avons payés année après année approchent désormais le total de la dette due. Les pertes que causerait une décision unilatérale d’annulation de la dette ne causeraient qu’un dommage négligeable aux organismes prêteurs. Cette annulation unilatérale présenterait l’avantage de libérer immédiatement une somme  autorisant le financement pérenne d’une sécurité sociale humaine et moderne, ainsi que la nationalisation de certains secteurs. Cette annulation apparaît en tout état de cause comme le seul moyen de se dégager de l’étau des marchés. Aucun État n’est à l’abri d’une dévalorisation de sa cote de solvabilité. Cette décote le ferait, dans le système actuel, inévitablement plonger dans une politique budgétaire de rigueur.

2) un certain nombre de secteurs d’activités sont trop sérieux pour les laisser contrôler par les marchés

L’effondrement des banques que nous avons connu en 2009 est un exemple de ces domaines trop sérieux pour n’être qu’aux mains du marché. Les banques sont les poumons de grand nombre d’entreprises. L’investissement et la création d’entreprise restent fortement liés à la volonté ou non des banques de soutenir les entrepreneurs. Enfin les banques jouent un rôle primordial dans la société de consommation. Les crédits à la consommation permettent aux consommateurs d’acheter au-delà de leur pouvoir d’achat. Mais au prix de taux d’intérêts étouffants. Une économie saine ne peut exister qu’à partir du moment où les banques se trouvent contraintes de mener une politique raisonnée d’investissement.

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