Vers une nouvelle démocratie française !

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La réflexion sur les institutions n’est pas un « luxe », mais une ardente nécessité. La démocratie française, en effet, est en crise, et peut-être en danger. En tout état de cause, l’on peut parler d’une « démocratie confisquée », et cela, au plus haut sommet de l’Etat. La présidentialisation du régime, encore accélérée depuis deux ans et demi, est, comment le contester ?, complètement anti-démocratique.

Quelle est en effet la réalité ? Un Président omniprésent, omnipotent, institutionnellement plus puissant que le Président des Etats-Unis lui-même, puisque, pénalement et politiquement, totalement irresponsable.

Notre démocratie, à l’évidence, est une démocratie imparfaite, fort peu exemplaire. Comme le disait, il y a déjà près de soixante-dix ans, le plusieurs fois ministre André Tardieu : « C’est l’ensemble du régime représentatif qui a perdu la face ».

Je ne vais pas m’attarder sur la démocratie représentative, mais juste dire qu’il nous faut, bien sûr, trouver un nouvel équilibre entre l’Exécutif et le Législatif et, de même qu’en 1958, l’on rationalisait le parlementarisme, devons- nous aujourd’hui rationaliser l’Exécutif gouvernemental, c’est-à-dire, je le dis clairement, l’abaisser un peu. A la fois par une réduction des pouvoirs présidentiels (on peut songer à la suppression, du droit de dissolution ou de nomination des hauts fonctionnaires), et par un meilleur encadrement des attributions restantes.

La question ambitieuse que je voudrais poser cet après-midi est la suivante. Comment mieux vivre ensemble ? Comment mieux exprimer notre volonté populaire ?

Il est clair que nous devons imaginer de nouvelles formes et de nouvelles règles de vie démocratique, mieux concilier surtout représentation et participation. Comment permettre notamment une plus grande circulation des hommes et des idées ? Comment faire que les citoyens contribuent plus directement aux affaires de la Cité, influent sur les décisions, les co-fabriquent même ? Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’une démocratie va en chasser une autre ; je crois à leur collaboration. J’ai même la faiblesse de penser qu’à l’image de nos bêtes de compagnie, les régimes démocratiques les plus croisés sont aussi les plus intelligents. J’ai ici en mémoire ce propos prophétique de Jean-Jacques SERVAN-SCHREIBER en 1970 : « Le problème, disait-il, est celui du pouvoir, qu’il faut désormais partager si l’on veut préserver les chances d’une cohérence sociale ».

Chacun l’a compris, c’est d’un nouveau modèle démocratique que la France a besoin pour le XXI è siècle, un modèle qui respecte les minorités, assure la libre discussion à tous les niveaux de décision, contrôle les dirigeants, de toutes les manières possible, par jurys citoyens ou tout autre manière.

Permettez-moi de revenir un instant sur le mot « Démocratie ». Les démocraties, on le sait, sont incomparables. Il y a loin de la démocratie athénienne aux démocraties urbaines communales du Moyen Age et de celles-ci aux démocraties modernes qui, elles-mêmes, n’ont pas toutes le même contenu ni le même visage.

Quel est au juste le fondement de la démocratie, son principe de base ? La liberté, comme le soutient Aristote? Le respect de la loi, comme l’affirme Raymond Aron, le grand libéral français de l’autre siècle ? Ne serait-ce pas plutôt l’égalité, comme le prétendent nombre d’auteurs et non des moindres, comme le plus célèbre d’entre eux : Tocqueville?

Evidemment, dès lors que les grands mots sont énoncés, que l’on s’est déterminé pour l’un ou l’autre, de nouvelles questions surgissent : de quelle liberté parlons-nous ? À quelle égalité faisons- nous référence ?

« Démocratie », chacun de nous l’a appris à l’école, cela signifie, par principe, que le peuple décide, qu’il est souverain. Simple définition, mais les choses se compliquent rapidement car, nous l’avons appris de la même façon, il existe plusieurs sortes de démocratie : politique, sociale, économique, représentative, directe, chrétienne, libérale, socialiste, « de proximité », locale, participative, voire, pour prendre un terme plus ancien de Proudhon, « mutualiste ou fédéraliste ». Que de mots finalement pour dire la démocratie ! Les institutions dites « démocratiques » varient donc considérablement suivant les lieux et les temps. La plupart – et c’en est le fait le plus remarquable – se contredisent, s’opposent souvent.

La participation, me semble-t-il, est cependant au cœur du projet démocratique de demain. Il ne saurait en effet y avoir de démocratie authentique sans cette participation active des citoyens à tous les aspects de la vie sociale. Chacun, à son niveau, doit pouvoir participer activement à la gestion des pouvoirs publics, c’est-à-dire aux choix et aux décisions dont dépendent sa propre situation et le destin de la Nation. Comme le disait Jaurès (dont la citation n’est tout de même pas réservée au seul Président : « La République, c’est le droit de tout homme, quelle que soit sa croyance religieuse, à avoir sapartdela souveraineté. » Dans tous les domaines, sur tous les sujets, les citoyens doivent donc pouvoir faire connaître et défendre leur opinion, développer leur point de vue. Ceci suppose une meilleure information de chacun, une meilleure formation aux idées, que soient donnés à tous les moyens d’acquérir les capacités pour comprendre les problèmes en débat.

La démocratie future, j’en ai l’intime conviction, sera contractuelle ou ne sera pas. Elle se nourrira de dialogue et d’échange permanents, sera en quête constante de consensus. Elle passera enfin par la responsabilité commune.

En l’état des choses, la participation demeure formelle, peu efficace parce qu’elle ne touche pas réellement les centres de décision. Que l’on songe aux conseils de quartier ou aux conseils de jeunes et l’on aura compris le chemin qui reste à parcourir pour déboucher sur une réelle participation active.

Parce que la démocratie est une création continue, il nous faut donc remettre notre régime au travail. Chacun, à son niveau, avec ses capacités, doit désormais pouvoir s’impliquer dans les affaires de son pays et contribuer ainsi au bien public : c’est ce que j’appelle à la fois le « décentralisme démocratique » et « la démocratie de responsabilités plurielles ».

Est-ce la fin du leadership politique, celui des responsables de partis et autres groupements politiques ? D’une certaine façon, oui. Le « leadership- chefferie » d’antan n’a sûrement plus sa place dans les institutions futures. Pourquoi ? Héraclite nous donne la réponse : « Nous ne voulons parmi nous personne qui soit le meilleur. S’il en est un de tel, qu’il aille parmi d’autres gens ». Au siècle actuel des « individus-rois », la dominance n’est plus de mise. Laissez-moi penser que c’est heureux et même rassurant pour nous, hommes et femmes de progrès. La vraie gauche n’est-elle pas, par essence, dans « le culte de la méfiance des chefs » ? « Il n’y a pas de chefs. Il n’y en a pas dans le parti socialiste, disait Léon Blum, dans son livre Le Socialisme démocratique.

CONCLUSION

Un Etat doté d’une Constitution où les citoyens remettent leur sort entre les mains d’un seul homme, qui exerce ensuite seul le pouvoir (que l’on nommera, au choix, « monarchie républicaine » ou « hyper-présidence »), n’est pas, si l’on s’en tient à la stricte définition de la démocratie, un Etat démocratique. Il n’y a rien à faire : gouvernance d’un seul n’est pas démocratie, pour la simple et juste raison que la démocratie est le régime du plus grand nombre, pas du plus petit, voire de l’unité (du moi, je). Toute concentration du pouvoir entre les mains d’un seul, quel qu’il soit, est donc un danger, une menace sérieuse pour nos libertés et notre sécurité. Il n’est pas de vraie démocratie qui ne requiert, en permanence, la présence responsable, et en grand nombre, d’hommes et de femmes, d’adultes et de jeunes, de trentenaires, quadragénaires, quinquagénaires (et tout de même quelques sexagénaires), de nationaux, d’étrangers européens et extra-européens bien entendu. Il nous faut mettre en commun, comme nous l’avons fait cet après-midi, mais en élargissant toujours plus le cercle, les réflexions, les idées, les opinions, les avis, les compétences de tous et de chacun.

On dit parfois que le sens du collectif s’en est allé. Ce n’est pas vrai. Ce sont les conditions de la mise en œuvre du « tous ensemble » qui sont plus délicates. On en connaît les causes : un individualisme insolent, de justes peurs personnelles qui freinent le désir d’action.

C’est à un « dépassement » de la démocratie représentative que nous devons tendre désormais. Cette ancienne démocratie est certes nécessaire puisqu’elle assure notre représentation internationale, et conserve pour mission de fixer les grands caps nationaux, mais elle n’est plus suffisante. C’est maintenant à un dialogue de toutes les démocraties, politique, sociale, économique, scolaire et familiale même, qui doivent avancer d’un même pas que nous devrons consacrer nos principaux efforts.

Il n’échappera naturellement à personne que, dans un contexte de hausse vertigineuse des plans anti-sociaux, d’aggravation des conditions de travail, la démocratie sociale est, plus que toutes, essentielle. Cette démocratie suppose, dans les entreprises, un meilleur partage des responsabilités entre salariés et patrons, qui sont tous, chacun à leur façon, des entrepreneurs. Elle suppose, pour le moins, un « droit de regard » sur les grandes orientations des firmes.

Une nouvelle démocratie politique, je le souligne à nouveau, s’impose. Nous pensons au Mouvement unitaire progressiste, initié et animé par Robert Hue, qu’il nous faudra, le moment venu, réfléchir au « dépassement » lui- même d’un suffrage universel d’investiture monarchique. Voter pour un – fût-ce par suffrage de tous les citoyens – n’est jamais vote démocratique. Voter pour un collège, seul, est démocratique. Si la démocratie est le régime du plus grand nombre, elle est nécessairement un régime d’assemblée (exemple de Louis- Napoléon Bonaparte en 1848)

Finalement, quelle démocratie voulons-nous ? Une démocratie plus humaine, plus juste, plus partageuse. Une « démocratie de l’excellence », mais ps de l’excellence pour quelques-uns, de l’excellence pour tous. Il n’est pas plus reprochable que la « démocratie d’un seul ». Comme disait jadis André Malraux, « la France n’est jamais plus grande que lorsqu’elle l’est pour tous ». La démocratie de demain a vocation à être une démocratie de service (public), non d’autorité. C’est sur la base d’individus et de groupes libres et responsables qu’elle devra poursuivre sa route. La République d’En haut a vécu ! La participation est purement conforme à l’esprit démocratique, tel que défini par Tocqueville : « La démocratie, dit-il, est un état social où chacun n’obéit qu’à lui-même, puisque, tous les individus étant égaux, ils ne sauraient se commander les uns les autres. »

Le dernier mot sera pour Pablo Neruda. Comme le poète, mais aussi comme de nombreux jeunes auxquels je pense en cet instant, « je veux vivre dans un monde où les êtres seront seulement humains sans autres titres que celui-ci, sans être obsédés par une règle, par un mot, par une étiquette. Je veux qu’on n’attende plus jamais personne à la porte d’un hôtel de ville pour l’arrêter, pour l’expulser ».

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